UTRILLO MAURICE (1883-1955)
Une poétique de la ville
Aussi obstinément attaché au paysage que sa mère l'était au portrait, Utrillo a produit une œuvre énorme, mais dont seule la partie antérieure à 1916 témoigne d'invention et d'originalité. Ce brusque tarissement, dans une certaine mesure explicable par la personnalité de l'artiste, tient probablement aussi à la monotomie de sa source d'inspiration. Car le thème presque unique des tableaux d'Utrillo, pendant toute sa période créatrice, c'est la ville (pour ne pas dire un quartier, Montmartre) et la banlieue proche. Michel Hoog a souligné avec raison l'audace d'une telle thématique qui rompt avec la tradition paysagiste du xixe siècle et son apothéose, l'impressionnisme, pour qui l'ouverture sur le monde et la nature avait valeur de précepte. Le décor urbain, si obsédant, se présente même, chez Utrillo, comme une négation de la vie naturelle, dont ne sont montrées que les formes dérisoires, abâtardies, les seules qui soient familières aux citadins des milieux pauvres : lumière sans soleil, neiges jaunies par les fumées, végétationemprisonnée par les façades d'immeubles, jardins de banlieue aux arbres décharnés où traînent ici et là des rousseurs d'automne.
Utrillo est un artiste scrupuleux. Sa rapidité d'exécution, qui confine dans les bons moments à la virtuosité, lui fait préférer, comme support, le carton à la toile sur châssis, de manipulation plus délicate. Ses schémas de composition, tracés à la règle, ont une rigueur toute classique et se souviennent volontiers des perspectives avec points de fuite au centre de l'œuvre, à la Hobbema. Le souci de perfection artisanale qu'il partage avec les peintres naïfs pousse Utrillo à traquer la réalité, à ne s'estimer jamais satisfait d'une représentation impuissante à rendre l'épaisseur et la présence du réel : de là le mélange de plâtre et de colle dont il se sert pendant sa période blanche pour traduire plus fidèlement l'aspect des vieux murs couverts de salpêtre, de là aussi les séances de travail à la lumière d'une rampe à gaz et l'utilisation fameuse des cartes postales, comme modèles d'une réalité indiscutable, enfin soumise, prise au piège.
Comme tout grand coloriste, Utrillo sait tirer d'une palette réduite les effets les plus variés. Dans ce qu'il est convenu d'appeler la « période de Montmagny » (1903-1905), le peintre affectionne les harmonies sombres et étouffées, les épaisseurs de pâte et les touches pommelées. Après quelques tentatives de manière impressionniste qui ont pour heureuse conséquence d'alléger sa facture, Utrillo aborde en 1908 sa « période blanche », la plus féconde et la mieux venue. Le blanc devient la couleur dominante et s'irise à l'infini : les ciels lourds de neige, aux reflets gris et roses, et sur lesquels se profile la dentelle des arbres aux branches dénudées, dialoguent avec le blanc crémeux des murs et l'éclat insolite de la neige (par exemple, Square Saint-Pierre sous la neige, 1908, coll. Roger Janssen, Bruxelles). Cette période de maturité, qui s'achève en 1914, coïncide avec la description systématique des sites et des rues de la butte Montmartre, dont Utrillo établit ainsi la géographie sentimentale. Rue Saint-Vincent (1908, coll. J.-L. Raskin). Rue du Mont-Cenis (1910, Musée national d'art moderne, Paris), Place du Tertre (vers 1908, galerie Pétridès, Paris), etc., autant de chefs-d'œuvre qui ont créé leur propre pittoresque, fait de maisons aux fenêtres béantes, de rues désertes ou seulement peuplées de rares silhouettes frileuses, un monde plus proche du Baudelaire du Spleen de Paris que de Carco, et dont la subtilité de coloris dissimule mal l'insondable tristesse.
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Écrit par
- Gérard BERTRAND : docteur en esthétique
Classification
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