HORKHEIMER MAX (1895-1973)
Rien ne laissait prévoir la carrière intellectuelle de Max Horkheimer : cofondateur (1924), puis directeur de l'Institut de recherche sociale à Francfort (1930), il fut le principal penseur de la « théorie critique » des années 1930 pour devenir finalement l'inspirateur du mouvement étudiant des années 1960. On peut, en effet, se demander comment ce fils d'un fabricant de textile, successeur tout désigné de son père, fut amené à déclarer : « La critique bourgeoise de la lutte prolétarienne est une impossibilité logique », ou encore : « Celui qui ne veut pas parler du capitalisme doit se taire à propos du fascisme. »
Alors qu'il était révolté par l'injustice sociale, c'est la lecture de Schopenhauer qui a changé la vie de Horkheimer. Passionné de philosophie, il fait des études supérieures et commence en 1926 une carrière d'enseignant, tout en se rapprochant du marxisme et du mouvement ouvrier. Nommé professeur de philosophie sociale à l'université de Francfort (1930), il devient patron, mais, cette fois, de l'Institut de recherche, puis de la Zeitschrift für Sozialforschung qu'il crée en 1932. Il organise et réalise alors la recherche interdisciplinaire entre philosophes, sociologues, esthéticiens, économistes et psychologues. En même temps, il développe les fondements de la théorie critique dans une importante série d'essais : Kritische Theorie. Eine Dokumentation, rééd. dep. 1968 (Théorie traditionnelle et théorie critique). Renouvelant la dimension critique du matérialisme, Horkheimer ne veut pas pour autant abandonner l'héritage de la philosophie idéaliste dans sa critique de la métaphysique, du positivisme et de toute forme de dogmatisme.
Révolutionnaires résistant au fascisme, Horkheimer et ses collaborateurs sont contraints, dès 1933, à partir pour l'exil. L'Institut reprend ses travaux aux États-Unis, où, directeur des Studien über Autorität und Familie (1936), Horkheimer organise de vastes recherches sur le potentiel antidémocratique qui sont publiées en cinq volumes sous le titre de Studies in Prejudice (1949-1950). En 1949, il revient en Allemagne, retrouve sa chaire de philosophie à Francfort, reconstruit l'Institut et achève sa carrière professionnelle en 1959.
Dès les années 1940, il dénonçait essentiellement les contradictions de la raison, qui, pour avoir été progressiste, était devenue instrumentale : Eclipse of Reason, 1947 ; avec T. W. Adorno, Dialektik der Aufklärung. Philosophische Fragmente, 1947 (La Dialectique de la raison). Il distingue de moins en moins le socialisme réel du capitalisme et prévoit la marche vers le « monde administré », anticipé par le fascisme et la terreur stalinienne.
Finalement, au moment où les textes du jeune Horkheimer deviennent une force politique, le philosophe se rapproche de nouveau de Schopenhauer, et aussi de Nietzsche. Pour lui, le « pessimisme métaphysique » est un « moment implicite de toute pensée matérialiste authentique ». Dans quelques interviews qu'il accorde à la suite de la mort d'Adorno (1969), le fondateur de la théorie critique déclare que seules les idées de la métaphysique, de la religion et de la morale peuvent apporter quelques lumières dans ce monde qui s'enfonce de plus en plus dans la domination terroriste et violente. Ses Notizen (Notes critiques 1949-1969) représentent une sorte de journal « sur le temps présent » ; elles paraissent en 1974.
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Écrit par
- Gerhard HÖHN : docteur de l'Université de Paris, chercheur, écrivain
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