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STIRNER MAX (1806-1856)

Le renom du philosophe allemand Max Stirner repose entièrement sur son œuvre maîtresse L'Unique et sa propriété(Der Einzige und sein Eigentum, 1845). Après avoir démontré que l'homme est unique, c'est-à-dire rebelle à toute intégration politique et sociale, Stirner lui reconnaît le droit de tout considérer comme sa propriété. L'actualité intermittente de cette pensée s'est trouvée dépendre des différentes interprétations dont elle a été l'objet. Lors de sa parution, L'Unique et sa propriété sembla sceller la fin de l'hégélianisme. Avec la notion de l'unicité, en effet, cet ouvrage voulait prouver que la dialectique hégélienne avait épuisé ses possibilités. En faisant dans L'Idéologie allemande (1845) la critique détaillée de Stirner, Marx et Engels soutiennent, à juste titre, que le moment est venu de passer de la spéculation à la praxis. Un demi-siècle plus tard, L'Unique est glorifié comme le premier avatar du surhomme nietzschéen. Arraché à l'oubli total dans lequel il était tombé, le livre de Stirner devient le bréviaire des anarchistes individualistes.

Après la Seconde Guerre mondiale, Stirner apparaît comme un des précurseurs de la philosophie existentielle. L'affirmation de l'unicité est rapprochée de la revalorisation de la personne humaine tentée par l'existentialisme, puisque, chez Stirner, la particularité, loin de passer pour une tare, est tenue pour la marque la plus sûre de l'éminente dignité de l'homme. En mai 1968, Stirner retrouva une nouvelle audience ; par sa notion du néant créateur, il semble avoir frayé le chemin à celle de la créativité. Pour empêcher toute sclérose, il recommande, en effet, à l'Unique une mise en cause perpétuelle, un constant renouvellement, la plongée périodique dans une fontaine de jouvence.

Critique de l'idéalisme

L'histoire de l'humanité se divise pour Stirner en trois périodes successives : le réalisme, l'idéalisme et l'égoïsme. Le centre de gravité de cette triade dialectique se situe autour de la négation, représentée par le deuxième moment. Stirner s'efforce de faire basculer vers l'égoïsme l'idéalisme, qui, avec l'Essence du christianisme (1841) de Feuerbach, vient d'atteindre sa limite extrême. Contre la suprématie de l'Esprit marqué du sceau de la transcendance, il élève sur le pavois « mon esprit » qui vit dans un monde concret.

« La différence, précise Stirner, réside en ce que tu (c'est-à-dire toi qui crois en l'Esprit) rapportes tout à l'Esprit, alors que lui (c'est-à-dire l'égoïste) rapporte tout à lui-même ; en d'autres termes : tu scindes ton Moi et ériges ton Moi proprement dit, l'Esprit, en maître souverain du reste moins important, tandis que lui ne veut rien savoir d'une telle scission et qu'il poursuit à son gré ses intérêts tant spirituels que matériels. »

Dans cette lutte contre l'idéalisme, Stirner porte les coups les plus sévères à l'humanisme athée de Feuerbach. En soulignant le caractère humain de l'essence divine, ce dernier croit bannir à tout jamais toute transcendance. Mais ce courant horizontaliste n'est, en réalité, qu'une nouvelle perspective théologique. Feuerbach « nous scinde en un moi essentiel et un moi inessentiel » et « donne le genre, l'homme, une abstraction, une idée, pour notre être véritable, à la différence du Moi individuel et réel qu'il tient pour inessentiel ». La situation du Moi demeure donc fondamentalement la même ; si Dieu n'écrase plus l'homme, c'est dorénavant l'espèce qui lui dicte ses lois.

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X-Nanterre

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