STIRNER MAX (1806-1856)
Critique de l'État
La critique stirnérienne s'en prend paradoxalement à l'État libéral considéré comme l'antagoniste le plus dangereux du Moi. Excédé par les abus du pouvoir dit absolu, le xviiie siècle découvrit que l'essence humaine commune pouvait fonder une forme de gouvernement nouvelle. Tout ce qui n'était pas purement « humain », c'est-à-dire tout ce qui était propre aux individus, particulier et original, se trouvait dès lors banni du domaine politique. Mais, en dépouillant ainsi le citoyen de toutes ses particularités, l'État agit à la manière de l'Homme feuerbachien : il aliène le Moi.
La servitude du Moi devient d'autant plus grande que l'État s'appuie sur le Droit et non plus sur des droits, comme l'Ancien Régime. Il est possible de contester, au nom de la justice, des droits qu'on considère comme autant de privilèges. Mais qui oserait se soulever contre le Droit, à moins de nier catégoriquement toute transcendance ?
Hegel prétend que c'est au sein de l'État que se réalise la fusion entre la volonté générale et la volonté particulière. Mais, pour Stirner, cette fusion n'équivaut aucunement à une union foncière grâce à laquelle l'individu pourrait parvenir à la liberté véritable. Loin d'accorder au préalable ma volonté à celle de l'État, je la lui soumets, m'abandonnant ainsi à l'arbitraire d'une puissance qui m'est étrangère.
En admettant même que la concordance parfaite entre la volonté générale et la volonté particulière puisse être réalisée, la situation ne serait pas changée pour autant. Liée à la volonté générale, la volonté particulière serait condamnée à se stabiliser, voire à se scléroser. De créature qu'elle est, elle deviendrait la maîtresse de son créateur ; elle serait une entrave pour le flux et la dissolution continue du Moi. Ma volonté d'hier tyranniserait ma volonté d'aujourd'hui. Dans le meilleur des cas – ou plutôt dans le pire des cas, puisque c'est à ma propre volonté que j'ai affaire, ennemi redoutable plus difficile à vaincre que tout ennemi extérieur –, je serais esclave de moi-même.
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Écrit par
- Henri ARVON : professeur émérite à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
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