GORKI MAXIME (1868-1936)
Gorki est un phénomène littéraire, politique et philosophique complexe : autodidacte sacré père des lettres soviétiques, militant bolchevique émigré après la révolution, vagabond anarchisant devenu porte-parole de Staline... « Canonisé » de son vivant, accusé après la fin de l'U.R.S.S. d'avoir été le chantre du goulag, l'homme intéresse plus que l'œuvre, qui fournit pourtant, dès les premiers récits, la clé de ces contradictions. Gorki – « l'Amer » : ce nom de plume, choisi en 1892, traduit bien la source et le but de toute l'activité de l'écrivain. Celui qui a connu dès son enfance une réalité sordide et cruelle aspire à la transfigurer par la raison, la volonté et le travail, à créer « une vie plus belle et plus humaine ». Dût-il pour cela mentir, ou semer des illusions. Gorki est l'un des bâtisseurs, et l'une des victimes, de l'utopie communiste du xxe siècle. Il incarne les révoltes, les espoirs et les errements de son époque. Écrivain engagé, il n'est pas pour autant un écrivain de propagande : ce rôle est réservé aux articles et aux discours, tandis que l'œuvre reste essentiellement inspirée par la Russie d'avant la révolution, décrite sous tous ses aspects, dans tous ses milieux sociaux, et éclairée par un romantisme révolutionnaire qui deviendra une composante du réalisme socialiste.
Les premières empreintes
Alexis Maximovitch Pechkov, le futur Maxime Gorki, est né en 1868 à Nijni-Novgorod (rebaptisé Gorki de 1932 à 1990). En 1871, le choléra emporte son père, artisan ébéniste devenu directeur du bureau d'une compagnie de navigation à vapeur à Astrakhan. Avec sa mère qui mourra de phtisie en 1879, l'enfant est recueilli par son grand-père maternel, doyen de la corporation des teinturiers de Nijni-Novgorod et despote familial bientôt ruiné. En 1913, Gorki évoquera dans Enfance le premier volume de sa trilogie autobiographique, les « empreintes » qui le marquèrent à jamais et ancrèrent en lui la volonté d'« ennoblir l'homme ». Dès 1878, après deux ans d'école primaire, l'enfant doit gagner seul sa vie : il est chiffonnier, commis, plongeur, apprenti peintre d'icônes, figurant... (En gagnant mon pain, 1916). En 1884, il part pour Kazan, où, en guise d'« universités », il travaille comme portefaix, choriste, mitron, et fréquente des clochards et des cercles clandestins d'étudiants qui l'initient aux débats sur le populisme (socialisme paysan) et le marxisme (Mes Universités, 1923). Après une tentative de suicide, qui lui laissera toute sa vie des poumons malades, et qui fut provoquée à la fois par le désaccord entre le rêve et la réalité et par un amour malheureux, Gorki décide en 1888, avec un ami, Mikhail Romas, de mettre ses idées populistes au service des paysans : mais la boutique qui leur servait de base est incendiée, et l'écrivain en retire une haine durable de la paysannerie (Sur le paysan russe, 1922), qui lui fera approuver le « bouleversement géologique » de la collectivisation forcée, en 1929-1933.
Commencent alors des années de pérégrination à travers la Russie méridionale et le Caucase, pour « comprendre le peuple ». Ces deux périodes (1888-1889 et 1891-1892) sont entrecoupées par un séjour à Nijni-Novgorod : Gorki y fait la connaissance de l'écrivain populiste Korolenko, qui le guidera. Il se met en ménage avec une sage-femme et sa fille (Le Premier Amour, 1923, évoque ce moment de sa vie) et travaille comme clerc chez un notaire. Il s'initie à la philosophie, et notamment à Nietzsche. Gorki a déjà beaucoup lu – romans historiques, romans populaires français, romans populistes russes, folklore, Bible, grands classiques russes et étrangers : « J'ai appris à écrire chez les auteurs français », dira-t-il en 1924 en parlant de la « parfaite maîtrise[...]
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Écrit par
- Michel NIQUEUX : professeur de langues et littératures slaves à l'université de Caen
Classification
Médias
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