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MAY DECEMBER (T. Haynes)

L’impossible vérité

Cette succession de sentiments complexes et déroutants est accentuée par le fait que les témoignages sont à plusieurs reprises entrecoupés d'images de larves et de chrysalides de papillons dont s'occupe Joe.Todd Haynes introduit également des références à certains films d'Ingmar Bergman, comme Persona (1966) – quand les visages de Natalie Portman et de Julianne Moore se juxtaposent à la manière de ceux de Bibi Andersson et de Liv Ullmann – ou Les Communiants (1963) – lorsque Portman, face à la caméra, récite la lettre d'amour de Gracie adressée à Joe comme le faisait Ingrid Thulin avec celle que son personnage avait rédigée pour Gunnar Björnstrand. Ce cheminement vers une impossible vérité se complique encore quand certaines informations avancées par l'un (Georgie signale à Elizabeth que sa mère aurait été abusée par son frère aîné dans sa jeunesse) sont infirmées par l'autre (Gracie, lors du départ de l'actrice, réfute ces dires). Un jeu narratif d'une grande finesse qui n'en finit plus de déstabiliser le spectateur quand il se rend compte, petit à petit, que la musique du film est en fait la même que celle du Messager de Joseph Losey, composée par Michel Legrand en 1971 et ici retouchée par Marcelo Zarvos. Cette déstabilisation atteint son zénith au cours de l'ultime séquence, où l'on voit Elizabeth, sur un plateau de cinéma, jouer par trois fois la scène où Gracie, tenant un serpent, séduit le jeune acteur qui interprète Joe. Le réalisateur est alors satisfait de son jeu, mais l'actrice demande une quatrième prise, cela pour son seul plaisir ! Et le nôtre, aussi confus soit-il.

Ce dixième long-métrage de Todd Haynes se révèle en totale harmonie avec l'univers mentalement carcéral de Safe (1995), celui tout en jeux de miroirs de Velvet Goldmine (1998) et plus encore de I'm Not There (2007), celui des interdits sublimés de Loin du paradis (2002), celui ouvertementgayde Carol (2015) et poétiquement fantastique de Musée des merveilles (2017). Quatre de ces films ont Julianne Moore pour interprète. Sa cinquième contribution à l'univers de Todd Haynes fait d'elle, assurément, la muse des marges qu'affectionne tant le metteur en scène.

— Michel CIEUTAT

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg

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