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KERANGAL MAYLIS DE (1967- )

Une épopée pour notre temps

Des romans de Maylis de Kerangal ont été adaptés au cinéma : Réparer les vivants (2016), Corniche Kennedy (2017). Cela tient sans doute au fait que, romancière du corps et de l’espace, l’auteure s’inspire du médium cinématographique dans sa dimension spectaculaire et documentariste, utilisant panoramiques et travellings pour donner à voir le réel dans son ampleur. Elle n’a pas le regard tourné vers elle-même, mais au contraire vers le dehors, les autres et l’ailleurs. Sa formation en cartographie et en anthropologie nourrit en outre une curiosité presque documentaire. Ses récits nomades font une large place aux transports et aux zones frontalières (corniche, pont, vague) comme aux flux extérieurs et intérieurs d’une humanité en mouvement.

La romancière observe avec tendresse des personnages qui tentent de se créer des espaces de fuite. Elle ne se veut pas dans une posture de surplomb, mais au contraire en immersion, à leurs côtés. Son écriture, qu’elle aime à définir comme poreuse, a le souci de faire entendre au plus juste les voix intérieures de chacun d’eux. À travers onomatopées, langage familier et anglicismes, l’originalité de son traitement de l’oralité et de la langue vivante réside dans le feuilletage des discours, dans l’alternance des voix. Elle prend le parti du présent – son temps verbal privilégié – et de la présence, parvenant à l’intensification du moment par un rendu précis, qui mobilise la vision et l’ouïe, des sensations et des expériences.

Mais la singularité de son écriture est avant tout portée par une phrase ample, « une forme de phrase qui tente d’être totale, comme un filet que je lance et tire, un peu attrape-tout. On peut la voir comme une vaste description, mais qui agrège du dialogue, de la pensée. » (2012) Sensible aux rythmes, elle alterne dilatation et accélération. Le flux de ses phrases incorpore des éléments hétérogènes issus d’univers variés, mêle les langages au point que Maylis de Kerangal aime se dire « traductrice ». Termes rares et précieux ou réminiscences littéraires côtoient des langages familiers ou grossiers. Elle rapatrie avec gourmandise dans la langue littéraire les mots techniques des chantiers, de la médecine ou de la peinture.

La plasticité de son œuvre protéiforme et l’étendue de ses intérêts renouvellent ainsi le roman français contemporain, parvenant à un équilibre entre emphase lyrique et précision technique. Elle écrit une épopée du monde moderne, tirée du côté du cinéma, nuancée par l’humour, déplacée sur le terrain de l’intime ou du professionnel. Son écriture, qui en appelle sans cesse à la libido sciendi de son lecteur et exalte l’énergie vitale de ses personnages, frappe par son absence de pessimisme. Maylis de Kerangal fait partie des rares écrivains contemporains capables de susciter l’enthousiasme du public tout en étant appréciés par la critique littéraire et universitaire.

— Christine GENIN

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Média

Maylis de Kerangal - crédits : Alessandra Benedetti/ Corbis/ Getty Images

Maylis de Kerangal

Autres références

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...avait attiré l’attention. Sensibles aussi bien à la disparition de la classe ouvrière (Aurélie Filippetti, François Bon) qu’à la mondialisation et aux nouvelles technologies (Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont, 2010 ; Élisabeth Filhol, La Centrale, 2010), aux difficultés et prouesses du monde...