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MÉCANISME, philosophie

L'expansion

Les développements de la science

L'importance du mécanisme dans l'histoire de la pensée est considérable ; grâce à lui, s'est ouverte l'ère de la science classique. Mais l'influence des premiers mécanistes est beaucoup moins due aux résultats qu'ils ont obtenus dans les disciplines scientifiques particulières qu'au changement de mentalité qu'ils ont provoqué ou, pour mieux dire, à la nouvelle appréhension du réel que leur œuvre a produite. Ils n'ont pas eu d'authentiques disciples dans les sciences, ou du moins ceux qui ont voulu se dire leurs continuateurs n'ont pu le faire très souvent qu'au prix de grandes infidélités, voire en réfutant sur bien des points ceux qu'ils considéraient comme leurs devanciers. C'est particulièrement net dans le cas de Descartes, dont bien des énoncés scientifiques, telles les lois du choc, se sont rapidement révélés faux. Dans la seconde partie du xviie siècle, les meilleurs cartésiens, sauf peut-être Rohault, disparu trop jeune pour donner toute sa mesure, n'ont pas été des hommes de science, mais des métaphysiciens. C'est Malebranche, lui-même beaucoup plus métaphysicien et théologien que savant, qui sans doute a prétendu le plus défendre, affiner et développer la physique de Descartes. Il n'y est parvenu qu'en rectifiant profondément les données cartésiennes ; et ce qui chez lui, au regard des autres théories scientifiques de son temps, mérite de demeurer, comme sa théorie des couleurs, est plus le fruit de son propre génie que de sa fidélité à Descartes.

Mais Malebranche indique très bien le lien le plus solide qui l'attache à Descartes : « J'avoue cependant que je dois à M. Descartes ou à sa manière de philosopher les sentiments que j'oppose aux siens et la hardiesse de le reprendre. » Même lorsqu'il critique Descartes, le malebranchisme est une manière originale d'être fidèle au cartésianisme. Le mécanisme cartésien par lui s'épanouit.

Leibniz, lui, s'oppose vivement à ce dernier. Il a construit son œuvre en grande partie contre Descartes, mais, sans Descartes, Leibniz n'aurait sans doute pas été Leibniz. Même s'il n'a découvert le vrai Descartes que tardivement, lui devant très peu pour sa formation personnelle, sa critique de la physique cartésienne a beaucoup du parricide, auquel, selon Platon, est contraint quiconque veut penser par soi-même. Le meurtre du père est le signe ambigu d'un attachement à lui. Mettre en cause le mécanisme était un moyen non seulement de rectifier les erreurs qu'il contenait, mais une manière de le délivrer de ses outrances et des impasses auxquelles il conduisait. La critique leibnizienne en quelque sorte achève, dans les deux sens du terme, le mécanisme des prédécesseurs ; elle le finit et l'accomplit ; ce qui meurt demeure.

On a un bon exemple des impasses du mécanisme dans l'opposition des cartésiens au newtonianisme, qui leur a paru remettre en cause totalement la science nouvelle et faire retourner la pensée en deçà des conquêtes du mécanisme. L'obstacle réside dans le fait que, chez Descartes, il ne peut y avoir mouvement que par contact et impulsion ; l'action à distance, l'attraction, comme le dira Fontenelle, ne peut être qu'un retour à une physique des sympathies et des qualités occultes. « Il est certain que si on veut entendre ce qu'on dit, il n'y a que des impulsions, & si on ne se soucie pas de l'entendre il y a des attractions et tout ce qu'on voudra ; mais alors la nature nous est si incompréhensible qu'il est peut-être sage de la laisser là pour ce qu'elle est », écrit un oratorien malebranchiste, le père Le Brun. De cette façon, on ne mène pas avec Newton une controverse scientifique ; on le disqualifie pour obscurantisme. C'est ainsi[...]

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  • : docteur en philosophie, docteur ès lettres et sciences humaines, chargé de recherche au C.N.R.S.

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