MÉCÉNAT
Mécénat religieux et laïc
Avec le christianisme apparaît le premier grand phénomène d'iconoclastie, c'est-à-dire une profonde aversion à l'égard de l'art païen, considéré comme criminel, et qui devait aboutir, au cours des siècles, à une grave dégradation du patrimoine artistique de l'Antiquité. Le nouvel art chrétien, après une période dominée par le symbolisme, adoptera la visée didactique et narrative qui avait caractérisé le Bas-Empire, et construira avec le langage des images une biblia pauperum.
Tandis qu'avec l'art profane déclinent et disparaissent mécénat privé et goût des collections individuelles, églises et monastères deviennent des foyers de rassemblement des œuvres d'art. Donations et ex-voto s'amassent en riches trésors. Les religieux eux-mêmes produisent des manuscrits ornés de miniatures et des objets précieux qui enrichissent les collections. La campagne iconoclaste menée par Léon III l'Isaurien vise à enlever aux moines un pouvoir qu'ils tiennent du culte des images sacrées. Mais les trésors de Saint-Pierre, de Saint-Marc ou de Saint-Denis n'ont pas seulement une valeur religieuse, ils ont aussi une valeur vénale concrète qui fait d'eux, à l'époque des croisades, de véritables banques de gages. Outre les collections d'objets précieux, les monastères s'adonnent aussi aux collections scientifiques, dont le modèle est la Wunderkammer, collection de spécimens du monde animal, du monde végétal, du monde minéral, effectuée dans la perspective du musée comme microcosme réfléchissant, à travers des exemplaires adéquatement classés, le macrocosme.
Les moines furent aussi des bâtisseurs, tels les bénédictins au xie siècle et les cisterciens au xiie. Parmi les prêtres dont le mécénat marqua l'époque, on peut citer l'abbé Didier du Mont-Cassin, qui fit venir des artistes de Constantinople pour exécuter la décoration de son abbaye et qui importa d'Orient des manuscrits miniaturés. Encore plus remarquable fut l'abbé Suger de Saint-Denis, qui a laissé le récit de ses faits et gestes et qui fut, autant que par la foi, animé par une vive passion du beau et par l'ambition de s'assurer une gloire éternelle.
Les empereurs pratiquèrent un mécénat tout entier imprégné de l'idée impériale ; ainsi en fut-il pour Théodoric, qui poussa à la restauration de nombreux monuments dans Rome ; plus tard, pour Charlemagne qui, en créant les ateliers d'art du Palais, provoqua un véritable essor artistique ; pour Frédéric II de Souabe qui, en constituant une collection de sculptures antiques, suscita une renaissance de la sculpture et même du portrait exécuté selon les canons romains.
À considérer la société qui, aux xiiie et xive siècles, s'intéresse à l'art, on voit qu'il est possible de distinguer trois couches : une sphère religieuse et cléricale, une sphère de courtisans et de chevaliers, et une sphère bourgeoise. Le développement du commerce et le phénomène urbain favorisent l'apparition d'un important mécénat laïc : les ordres de chevalerie, les corporations, les familles de la nouvelle bourgeoisie constituent les principaux commanditaires de la période gothique, qui voit surgir oratoires, chapelles, tombeaux, fresques votives. Les ordres religieux récemment fondés des franciscains et des dominicains, les gouvernements démocratiques des nouvelles républiques sont les promoteurs des principaux monuments religieux et civils qui façonnent la physionomie de la cité. Parmi ceux qui passent commande à Giotto, on trouve des banquiers comme les Peruzzi ou les Bardi. Les édifices civils eux-mêmes, les habitations, les châteaux et les palais sont maintenant décorés et ornés avec un luxe nouveau, et un climat nouveau d'autonomie esthétique se laisse déjà percevoir dans des collections[...]
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Écrit par
- Nathalie HEINICH : sociologue, directeur de recherche au C.N.R.S.
- Luigi SALERNO : directeur de la Calcographie nationale, Rome
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