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MÉDECINE ET INTERNET

Vers un corps connecté

Pour faciliter et développer l’utilisation de ces objets connectés, il est souhaitable de les rendre quasi imperceptibles. D’où l’importance de leur miniaturisation et intégration dans un ensemble cohérent à la fonction, par exemple un vêtement qu’on enfile pour faire du jogging et qui incorpore dans l’épaisseur du tissu tout ce qui est requis pour le suivi de cette activité (vêtements connectés). Selon le type d’activité, on peut enfiler un vêtement différent et, avec cette panoplie, le suivi peut couvrir une journée complète : le corps devient lui-même un objet connecté. Cette surveillance peut être étendue au bien-être de la personne à travers des questionnaires dont les réponses permettent par exemple d’avoir une indication sur le niveau de stress, le rythme d’activité, la qualité du sommeil, réponses qui peuvent être recoupées avec les indications des capteurs. On est là dans le domaine de l’« automesure-évaluation » (quantified-self dans la littérature anglo-saxonne), un mouvement né en Californie qui, à partir des années 2010, a pris une extension mondiale.

Terminaux et applications fonctionnent la plupart du temps en interaction avec des serveurs qui permettent aux pratiquants de trouver des conseils pour leur rythme d’activité ou leur régime alimentaire (avec évidemment des propositions d’achat de produits) ou encore de participer à des groupes de discussion. Pour les échanges ou les comparaisons des objectifs et performances individuelles, il s’agit de se référer plus ou moins explicitement à des normes qui ont cours dans le groupe ou sur le réseau. Or – les médecins le savent –, chaque corps est unique et fonctionne différemment de tous les autres, du moins dans certaines limites, ou réagit différemment aux agressions. De plus, aucun corps ne fonctionne « parfaitement ». Les normes qui ont cours dans ces groupes sont en fait un mélange de normes sociales à caractère comportemental (lorsque l’on compare son jogging hebdomadaire à celui des autres) et de normes médicales qui, elles, sont fondées sur des données statistiques. Les premières sont soumises aux fluctuations d’une opinion publique plus ou moins versatile, alors que les secondes, plus objectives, évoluent lentement au fil des progrès de la médecine. On doit ajouter que les normes sociales ne sont généralement pas déconnectées des normes médicales auxquelles souvent elles se réfèrent, et que la frontière entre les deux est floue et évolutive.

L’automesure-évaluation n’est pas inoffensive. Le soutien du groupe, allié à l’esprit de compétition qui règne en son sein, aide le sujet à progresser et à se responsabiliser par rapport au fonctionnement de son corps. Mais l’addiction à la performance risque d’estomper l’objectif initial de bien-être voire, situation extrême, de déclencher une forme de normopathie quand la norme du groupe (par exemple, la distance à parcourir par semaine) se trouve érigée en absolu sans discernement, ce qui n’est pas sans risque en l’absence de suivi ou d’information médicale. Cela rappelle la situation des années 1970-1980 lorsque s’est répandue la pratique du jogging et des marathons, qui a entraîné de nombreux accidents cardiaques. Au départ, l’engouement était tel que même une partie du corps médical semblait avoir oublié que le premier coureur grec parti de Marathon mourut à son arrivée à Athènes.

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