MÉLANCOLIE
La mélancolie, avant de se trouver réduite à la psychose maniaco-dépressive de la psychiatrie classique, a recouvert de nombreuses manifestations symptomatologiques, dont l'éventail, depuis Hippocrate, s'étend de la notion de folie passagère à l'installation de la tristesse la plus pernicieuse. De μ́ελας (noir) et χολ́η (bile), elle constitue l'une des quatre humeurs de la physiologie grecque du ive siècle avant J.-C., avec le sang, la lymphe et la bile jaune ; et c'est le déséquilibre provoqué par l'accumulation de « substances noires » néfastes qui amène anxiété, tristesse et même frénésie. « Si crainte et tristesse durent longtemps, un tel état est mélancolique », lit-on dans les Aphorismes d' Hippocrate. L'étude complète de la mélancolie, en tant que manifestation essentielle des fluctuations de la relation de l'âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, a été excellemment traitée par J. Pigeaud.
Ce qui, de cette tradition grecque, présente de nos jours un intérêt clinique bien au-delà des périodes du Moyen Âge et de la Renaissance qu'elle a dominées entièrement, c'est non seulement la finesse des analyses portant sur la succession d'épisodes à la fois dépressifs et maniaques chez un même sujet – déjà signalé par Arétée de Cappadoce – mais encore la pertinence d'observations que l'on tend actuellement à négliger, à force peut-être de les avoir écartées par une classification réductrice : l'aura de « génialité » qui accompagne généralement le sujet mélancolique et le débordement d'humeur qui le submerge. La « génialité », sur laquelle insistent les péripatéticiens, toucherait au mécanisme de la mélancolie et le débordement d'humeur au caractère des procédés thérapeutiques, si toutefois on s'accorde à bien vouloir considérer, sous le terme de mélancolie, la variété des manifestations dépressives qui vont de la dépression réactionnelle passagère à la psychose grave selon la terminologie moderne.
Dans cette voie, on adoptera donc la définition des recherches freudiennes, pour lesquelles la mélancolie, en 1917, se présente sous des formes cliniques diverses, dont il n'est pas certain qu'on puisse les rassembler en une unité, et parmi lesquelles certaines font penser plutôt à des affections somatiques qu'à des affections psychogènes. Relevons déjà l'intérêt de cette extension du concept : la question de la génialité mélancolique nous mènera à celle de la spécificité de ses productions, et la question du débordement d'humeur à celle des effets nuisibles d'une présence étrangère dans le corps du sujet. Il restera, bien entendu, à rendre compte d'une structure, si structure il y a pour la mélancolie, en deçà même de la psychose, à laquelle on s'empresse de la rattacher, dans la mesure où ce qu'elle exprime, à travers des constructions symboliques fort bien élaborées, renverrait plutôt à l'illusion spéculaire, à laquelle le sujet mélancolique ne s'est jamais identifié.
La persistance de la théorie des révulsions
« Pourquoi, s'interrogent les péripatéticiens au livre XXX des Problèmes attribués à Aristote, tous les hommes qui ont particulièrement brillé en philosophie, en politique, en poésie ou dans les arts sont-ils mélancoliques ? Et certains d'entre eux à tel point qu'ils ont souffert des troubles provenant de la bile noire, ainsi qu'on le dit d'Héraklès parmi les héros ? » Si les écrits hippocratiques attribuent clairement à la mélancolie une étiologie somatique et humorale par excès ou corruption d'humeur, réchauffement ou refroidissement de l'organisme, les disciples d'Aristote entrevoient déjà la possibilité d'une origine double, à la fois[...]
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Écrit par
- Marie-Claude LAMBOTTE : maître de conférences à l'université de Paris-VII
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