MÉLANCOLIE. GÉNIE ET FOLIE EN OCCIDENT (exposition)
Annoncée comme l'une des dernières expositions de Jean Clair, celle du moins qui couronnait sa carrière de directeur du musée Picasso à Paris, Mélancolie. Génie et folie en Occident, au Grand Palais du 13 octobre 2005 au 16 janvier 2006, condensait les thématiques de ses précédentes expositions. Qu'il s'agisse en effet des relations entre l'art et la science, explorées dans L'Âme au corps au Grand Palais en 1996, de l'imaginaire de l'infini interrogé dans Cosmos. Du romantisme à l'avant-garde, présentée à Montréal en 1999 puis à Barcelone en 2000, ou encore de la vision dérisoire que les artistes ont souvent donnée d'eux-mêmes, avec La Grande Parade. Portrait de l'artiste en clown, au Grand Palais en 2004, ces sujets renvoient tous à un thème qui hante la culture occidentale depuis près de 2 500 ans : celui de la mélancolie.
Les premières occurrences du terme apparaissent dans un traité médical, De la nature de l'homme, attribué à Hippocrate. La melankholia, littéralement « bile noire », est l'une des quatre humeurs dont dépend la santé : en excès dans le corps, elle provoque un état prolongé de tristesse et de crainte, la maladie mélancolique. Mais bien vite, la philosophie s'intéresse à la mélancolie, ainsi dans le Problème XXX attribué à Aristote : « Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d'exception […] sont-ils manifestement mélancoliques ? » Ce texte inaugure la longue tradition selon laquelle le génie, déterminé par un échauffement de la bile noire, ouvre l'individu à un au-delà. Cet état est cependant aléatoire et précaire : si l'échauffement est insuffisant, l'individu reste triste et craintif ; s'il est excessif, le voilà plongé dans une mélancolie furieuse, proche de la folie.
Un parcours chronologique et thématique articulait les différents aspects de la mélancolie, couvrant les quelque vingt-cinq siècles de l'histoire du concept en ménageant plusieurs approches : philosophique, religieuse, médicale, astrologique… et surtout artistique.
Cette pluralité aurait pu dérouter le visiteur, les œuvres n'ayant pas le même statut et n'opérant pas sur le même plan. Elle se révélait au contraire stimulante, dans la mesure où elle renforçait le fil rouge de l'exposition : l'iconographie. Car pour l'histoire de l'art, la mélancolie est liée au modèle fixé en 1514 par la gravure magistrale de Dürer, Melencolia I, sous les traits d'une figure ailée, la tête appuyée dans sa main et autour de laquelle sont éparpillés divers instruments de mesure de l'espace et du temps. Méditation sur les possibilités de la connaissance et ses limites, l'œuvre retrouve le lien établi par Aristote entre génie et mélancolie.
Ainsi, à côté des approches littéraire (les représentations d'Ajax, héros mélancolique), religieuse (les multiples Tentation de saint Antoine), médicale (les représentations de malades mélancoliques au xixe siècle), l'existence d'une iconographie spécifique assurait l'unité du parcours. Dès lors, la gravure de Dürer pouvait être envisagée comme le point central de l'exposition, la clé d'une tradition qui commence avec les stèles funéraires attiques, alors que maints portraits déclinent ensuite la pose canonique.
Le fil iconographique offrait aussi quelques heureux détours, dont celui d'un cabinet de curiosités rassemblant les instruments présents dans la gravure de Dürer ; au centre était placé Le Cube (1933) de Giacometti, sculpture en plâtre d'un polyèdre dont la forme irrégulière et complexe semblait refléter le projet même d'un tel lieu, visant à rassembler la totalité du savoir et se heurtant à l'impossibilité de l'entreprise. Cette salle assurait la transition entre[...]
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Écrit par
- Hélène PRIGENT : historienne de l'art