MÉLANCOLIE
Psychanalyse et philosophie
Freud classe la mélancolie, en 1896, parmi les psychonévroses de défense et plus précisément les névroses narcissiques. Liée à la série des névroses d'angoisse, particulièrement à la dépression périodique, elle se rattache au troisième mode de transformation de l'énergie non liquidée, celui de la transformation de l'affect ; mais, alors que la névrose d'angoisse provient d'une accumulation de tension sexuelle physique, la mélancolie provient d'une accumulation de tension sexuelle psychique, ce qui détermine chez les sujets qui en sont atteints une grande tension érotique psychique (psychische Liebespannung). C'est en rapport avec celle-ci, comprise à la fois comme symptôme et comme mécanisme, que Freud a comparé la mélancolie à une sorte d'« hémorragie interne » (innere Verblutung) en vertu de laquelle « l'excitation sexuelle entièrement pompée s'écoulerait comme par un trou situé dans le psychisme, entraînant ainsi chez le sujet une inhibition généralisée de ses autres fonctions ».
Il est très étonnant de remarquer, à ce moment de l'histoire de la mélancolie, comment le terme même fut réhabilité par Bleuler et Freud, au sein à la fois de la psychiatrie et de ce qui sera la psychanalyse, et comment Freud, tout particulièrement, rompit avec la tradition médicale pour aborder, d'une part, un point de vue d'abord mécaniste et, d'autre part, des références lexicales sans aucun rapport avec les compilations antérieures. On renoue dès à présent, avant même que Freud ne se penche sur le processus dynamique de la maladie dans Deuil et mélancolie (1917), avec un courant réflexif qui, de l'acedia des mystiques du Moyen Âge au désespoir des romantiques, avait la mélancolie pour cible, s'il ne la prenait pour muse. Du point de vue de l'orthodoxie psychiatrique, on peut bien rétorquer qu'il ne s'agit pas là de la même entité et s'en tenir à la conception réductrice de la psychose. Qu'on veuille bien cependant songer à la catégorie freudienne de névrose narcissique, dans laquelle elle figure, distincte par conséquent du groupe des psychoses, et à ce déséquilibre psycho-physique rétabli à la manière du mécanisme des vases communicants qu'elle met en cause. Ne serait-ce pas là cette « sécheresse » dont parle saint Jean de la Croix, en dépit de ses tentatives répétées pour la distinguer de la mélancolie, et « qui vient de ce que Dieu transfère à l'esprit les biens et les forces des sens ; et, comme les sens et la nature ne sont pas capables par eux-mêmes de biens spirituels, ils restent privés de nourriture, dans la sécheresse et dans le vide. Aussi, quand l'esprit est dans la joie, la chair est-elle mécontente et paresseuse pour agir (se desabre la carne y se afloja para obrar) ». Ou bien ne serait-ce pas encore la plainte romantique et le non-sens au-delà desquels la mélancolie rencontrerait son double dans un combat dont l'issue ne peut qu'être fatale ?
Le processus dynamique de la mélancolie témoigne aussi de l'utilisation possible de la tradition philosophique quand, en le comparant à celui du deuil, Freud explique l'impossibilité pour le sujet de se séparer de l' objet perdu et de réinvestir son énergie ainsi libérée sur un substitut. Mais, alors que le deuil se termine après un temps plus ou moins long selon les individus, la mélancolie s'installe au contraire sous la forme de l'incorporation de l'objet perdu par le sujet lui-même, de telle manière que celui-ci reprend à son compte l'ambivalence de sentiments qu'il portait auparavant à l'objet aimé. « L'ombre de l'objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l'objet abandonné. De cette façon,[...]
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Écrit par
- Marie-Claude LAMBOTTE : maître de conférences à l'université de Paris-VII
Classification
Médias
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