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MELCHISÉDECH

L'une des figures bibliques les plus difficiles à cerner. Le mystère qui entoure Melchisédech explique le lot de spéculations qui jaillirent à son sujet durant de longs siècles, dans l'ancienne religion d'Israël d'abord, dans le judaïsme et le christianisme ensuite — phénomène qui se manifesta tant dans les courants orthodoxes que dans des traditions échappant aux régulations magistérielles.

Le nom de Melchisédech apparaît deux fois dans l'Ancien Testament. D'abord dans Gen., xiv, 18 : « Melchisédech, roi de Salem [c'est-à-dire Jérusalem, si l'on se fie au Psaume LXXVI, 2, qui emploie nettement Salem pour Jérusalem], apporta du pain et du vin ; il était prêtre de El Elyon [ces deux éléments, El et Elyon — réunis pour désigner le dieu suprême, El, selon l'une de ses variantes bibliques —, se rencontrent dans les documents de l'Orient ancien, en Phénicie et dans le panthéon ougaritique, comme appellations spécifiques de deux divinités]. » L'étymologie du mot (melek, « roi », et sedeq, « justice ») invite à le traduire : « Mon roi est justice », comme on le fait de cet autre nom d'un roi de Jérusalem, Adonisedech : « Mon seigneur est justice » (Juges, x, 1). Pour Philon et pour Josèphe, Melchisédech est basileus dikaios.

On le retrouve dans le Psaume CX, 4 (composé probablement à l'époque maccabéenne en l'honneur d'un roi juif qui serait en même temps grand prêtre) : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech. » On le repère aussi en dehors des textes canoniques : le livre slave d'Hénoch fait de lui le neveu de Noé et donc une figure patriarcale.

<it>Abraham et Melchisédech</it> de Rubens - crédits :  Bridgeman Images

Abraham et Melchisédech de Rubens

Le texte de la Genèse, dont la source n'est guère identifiable, introduit Melchisédech après la victoire d'Abraham sur les rois coalisés. Répondant à une bénédiction du roi de Salem à son endroit, le patriarche « lui donna la dîme de tout » (xiv, 20). Sans doute s'agit-il là d'une légitimation, par l'argument patriarcal, du pouvoir politique et cultuel que les rois israélites, David et ses successeurs immédiats, détenaient à Jérusalem, l'ancienne capitale jébuséenne. On peut y voir aussi une manière de combattre les réticences de certaines populations judéennes qui, invoquant le caractère divin de l'organisation patriarcale et tribale qu'elles voulaient conserver, avaient bien du mal à reconnaître au roi de Jérusalem le pouvoir centralisé de prélever des impôts sur leurs terres ; le geste d'Abraham payant « la dîme de tout » à Melchisédech apparaissait comme l'acte fondateur irréfutable des dispositions présentes.

L'épître aux Hébreux, au chapitre vii, a donné une grande importance à Melchisédech, « qui est sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n'ont pas de commencement et dont la vie n'a pas de fin ». Les chrétiens s'étaient très tôt intéressés au Psaume CX (mis dans la bouche de Jésus par les évangélistes ; cf. Marc, xii, 36-37) pour déplacer l'idée que le Christ était « Fils de David » en un sens trop nationaliste (cf. I Corinthiens, 26-28). L'auteur de l'épître aux Hébreux est le premier qui, s'appuyant sur la Genèse, xiv, ait établi un parallèle entre Jésus et Melchisédech : la prêtrise de celui-ci étant la préfiguration imparfaite du culte supérieur dont celui-là est, à tout jamais, le grand prêtre parfait. C'est ainsi que Melchisédech devint le « type » du Christ. Toute la tradition patristique a exploité l'exégèse allégorique de ce passage de l'épître, y ajoutant volontiers des éléments nouveaux. À partir de saint Cyprien, on reconnut dans le geste du roi de Salem un authentique sacrifice préfigurant l'eucharistie : cette interprétation connut une longue fortune[...]

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<it>Abraham et Melchisédech</it> de Rubens - crédits :  Bridgeman Images

Abraham et Melchisédech de Rubens