MÉLODIE
La mélodie est l'élément premier de la musique. Premier en ce qu'il en est la manifestation la plus spontanée et la plus naturelle, conjointement avec le rythme, dont on ne peut se passer et qui lui est en quelque sorte consubstantiel – encore qu'il puisse y avoir rythme sans mélodie, mais non mélodie sans rythme. Car c'est ce dernier qui découpe en valeurs différentes la durée dans laquelle s'écoule cette suite de sons prélevés par la mélodie dans l'échelle qui lui est fournie par la nature. Cette échelle introduit dans la description du phénomène une notion d'espace, qui se combine avec celle de temps représentée par la succession des valeurs rythmiques.
La mélodie est donc une succession de sons ayant entre eux des rapports d'intervalles et de durée. Telle est la définition la plus large et la plus indéterminée qui puisse en être donnée.
Elle ne précise rien en ce qui concerne les sons ainsi mis en cause. Ils sont en nombre indéfini. L'échelle délimitée par l'intervalle d'une octave renferme tous les sons avec lesquels on peut faire de la musique, sons qui se reproduisent d'autre part, d'octave en octave, dans toute l'étendue où l'oreille humaine peut les percevoir. Mais la détermination de ces sons et de leur nombre échappe à toute loi naturelle.
La musique occidentale en sélectionne douze selon une méthode qui se veut scientifique mais qui ne résiste pas à un examen critique. Cette échelle de douze sons a été consacrée par une immense et prestigieuse littérature musicale. Mais elle n'est ni plus ni moins légitime que les soixante-deux « modes » de base décrits par les vieux traités sanscrits et dont les modes dérivés (ou ragas), utilisés en Inde, se dénombrent par centaines.
Même si l'on demeure dans le cadre de la musique occidentale et si l'on admet, pour la commodité de la démonstration, que son matériau sonore peut être représenté sur la portée par les douze notes de la gamme chromatique, séparées entre elles par des demi-tons égaux (ce qui est inexact puisque cette gamme, dite tempérée, ne date que du xviiie s.), il reste à définir quelques notions musicales essentielles pour prendre une vue exacte de ce qu'est le sentiment mélodique dans la conscience d'un auditeur d'aujourd'hui et de ce qu'il put être dans celle des musiciens des siècles nombreux qui l'y ont progressivement amené.
Éléments constitutifs
Les rapports d'intervalles
Parmi les auditeurs d'enregistrements ou de concerts de chant grégorien, ou parmi les personnes qui assistent aux offices des monastères, où son interprétation a le plus de chances d'être pleinement appréciée, il y en a sans doute assez peu qui perçoivent ce chant autrement que comme une extension, très noble mais un peu monotone, de la psalmodie avec quoi il alterne. Le sens mélodique en est perdu pour elles, parce qu'elles sont à ce point conditionnées par leur culture classique qu'elles ont perdu le sens « modal ». Devant une mélodie modale, ces auditeurs se livrent à une opération mentale inconsciente qui la dépossède de sa personnalité et lui impose des structures harmoniques tonales, à contresens de son entité musicale et plastique. Pour la « voir » telle qu'elle est, ils devraient parvenir à se pénétrer de la place occupée par chaque son à l'intérieur du mode par rapport à sa tonique, place qui lui donne son sens, ses couleurs, son aura.
À l'opposé, dans une musique tonale et modulante, une note n'a pas de signification en soi, cette signification étant modifiée à tout instant par son contexte selon le déroulement de la polyphonie.
Dans la musique moderne, les modes anciens, jadis détrônés par le mode d'ut, ont retrouvé la faveur des compositeurs. Mais, intégrés dans un système harmonique, ils se[...]
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Écrit par
- Henry BARRAUD : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française
Classification
Média
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