MÉLODRAME
Le mélodrame est un genre décrié. Sa réputation a été grande et René Charles Guilbert de Pixérécourt (1773-1844), le « Corneille du mélodrame », gagnait, à produire des mélodrames, plus de 25 000 francs par an. Somme énorme. De nos jours, le mélodrame « est victime d'un reproche majeur et général : il est populaire, boulevardier, vulgaire ; c'est la tragédie du pauvre ou le drame du pauvre », écrit P. Frantz, qui ajoute : « Il n'est décrit qu'à travers deux figures si fréquentes de l'histoire littéraire, celle de la décadence et celle de l'enfance ; il est décrit tantôt comme l'ultime décadence de la tragédie, [...] tantôt comme l'enfance du drame romantique. »
Au commencement, le mot mélodrame est quasi synonyme d'opéra ; c'est le cas pendant la seconde moitié du xviiie siècle ; après quoi, tout en conservant l'idée que l'action doit s'y accompagner de musique, le mot désigne une sorte bien précise de drame populaire, de « tragédie des boulevards » (Geoffroy). L'origine du mélodrame est complexe ; il tient du roman noir auquel il doit son goût de la terreur et des effets pathétiques : ses rapports avec le drame bourgeois sont rendus évidents par la présence de personnages bourgeois et populaires, par ses tendances moralisatrices, et plus encore peut-être par son goût du visuel, du « tableau ». Mais on a pu montrer sans paradoxe qu'il devait aussi beaucoup à la tragédie : « J'ai respecté dans mes drames les trois unités, s'écrie Pixérécourt, autant qu'il m'a été possible. » Surtout, le mélodrame voisine avec la tragédie par le recours systématique à la terreur et à la pitié, et plus précisément avec la tragédie pseudo-classique par l'usage des stéréotypes psychologiques et moraux.
Mélodrame et Révolution
Le début de la Révolution de 1789 marque la naissance du mélodrame, comme si l'intervention de l'histoire dans la vie concrète des hommes de la rue et le droit nouveau du tiers état aux privilèges de la culture étendaient le champ d'action du théâtre. En effet, les premières œuvres datent de 1790-1791 (Olympe de Gouges, Le Couvent, ou les Vœux forcés, 1790 ; Lemierre d'Argy, Calas, ou le Fanatisme, 1791 ; Boutet de Montvel, Les Victimes cloîtrées, 1792), et tous les historiens du mélodrame insistent sur le rôle déterminant de la Révolution ; ainsi Nodier, réfléchissant après coup au rôle de l'histoire dans l'avènement du mélodrame et à son succès après la Révolution : « À ces spectateurs solennels qui sentaient la poudre et le sang, il fallait des émotions analogues à celles dont le retour à l'ordre les avait sevrés. Il leur fallait des conspirations, des cachots, des échafauds ; des champs de bataille, de la poudre et du sang. [...] Il fallait leur rappeler dans un thème toujours nouveau de contexture, toujours uniforme de résultats, cette grande leçon dans laquelle se résument toutes les philosophies, appuyées sur toutes les religions : que même ici-bas la vertu n'est jamais sans récompense, le crime n'est jamais sans châtiment. Et que l'on n'aille pas s'y tromper ! Ce n'était pas peu de chose que le mélodrame ! C'était la moralité de la Révolution. »
Le grand moment du mélodrame se situe après 1794, et même après 1800, sous le Consulat et l'Empire. C'est que, dans sa forme la plus aboutie, le mélodrame n'est pas seulement lié à la Révolution : il est marqué par le régicide et la mort de Louis XVI. On peut voir en lui une réécriture fantasmatique de l'histoire qui nie le parricide en replaçant dans ses droits le père déchu ou martyrisé. Le mélodrame est en tout cas chez Pixérécourt l'histoire d'une restauration, d'un retour à l'ordre naturel.[...]
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Écrit par
- Anne UBERSFELD : ancienne élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III
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