MEMED LE MINCE, Yachar Kemal Fiche de lecture
Un souffle épique
Dès les premières pages du roman, Kemal nous installe dans le cercle du conteur, où le merveilleux imprègne le quotidien, où le récit prend volontiers une dimension prophétique, philosophique. Se pose le problème du sens de la vie : « Il y a bien des choses faciles en ce monde, ce qui est difficile c'est d'être un homme ! ». Proche de l'épique, l'histoire de Memed a parfois les accents de L'Iliade : le fusil du brigand est travaillé comme le bouclier d'Achille, l'alezan de Memed, « habité de Dieu », est frère des chevaux lyciens vantés par Homère.
Yachar Kemal emprunte aussi au souffle des plus grands poètes turcs. Il cite Pir Sultan Abdal (xvie siècle), qui appelle à la révolte. Et lorsque se lèvent dans la montagne des bandes de Memed, Yachar Kemal fait revivre les vers de Nazim Hikmet (1902-1963) : l'ennemi connaîtra la défaite, « parce que nous sommes innombrables comme les oiseaux dans le ciel, les fourmis sur la terre... » En évoquant les tribus d'Asie centrale et du Caucase, la bataille des Dardanelles, l'occupation française, la guerre d'indépendance, Ankara et le nouveau gouvernement « qui s'efforçait de mettre fin au pouvoir illimité des petits seigneurs », Yachar Kemal brosse un fascinant tableau de l'histoire et de la civilisation en marche de son pays.
Enfin, un personnage essentiel de Memed le Mince est la nature. Les zones de marécages hantent ainsi le roman : « Les mois d'été, les marais bouillonnent. Ils sont sales, infects, l'odeur en est repoussante : joncs pourris, herbes pourries, arbres, bambous, humus pourris. Mais l'hiver ce sont des eaux limpides, scintillantes et vives. » Le Taurus, région de la Turquie « où l'atmosphère était si remplie de lumière qu'on eût dit que monts et rochers... allaient soudain se sublimer et se transformer en lumière », les « terres où le narcisse se dresse avec majesté, où la marjolaine aux fleurs bleues atteint l'éperon du cavalier... » sont également essentiels et rappellent souvent l'hymne à la nature qu'on trouve dans le Dictionnaire arabo-turc de Mahmout de Kachgar (1072-1077).
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Écrit par
- Ariane MAGNIN : diplômée de l'Institut national des langues et civilisations orientales (I.N.A.L.C.O.)
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Média