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MÉMOIRE CHEZ L'ENFANT

Mémoire épisodique, mémoire événementielle et amnésie infantile

L’étude de la mémoire chez le tout-petit se heurte à l’absence de langage, ce qui limite les outils d’investigation. Différents travaux révèlent des compétences d’apprentissage et de mémoire implicite. Les systèmes mnésiques sous-tendant ces compétences (mémoire procédurale, mémoires perceptives) se développent très tôt, en lien avec la maturation précoce des structures cérébrales sous-jacentes (striatum, cervelet, cortex visuel associatif…), et constituent le mode d’entrée privilégié des apprentissages chez les tout-petits. Toutefois, ces capacités mnésiques ne sont pas synonymes de mémoire au sens plein du terme du fait que les différents processus qui participent au fonctionnement de la mémoire émergent à des âges différents.

Décrit initialement par Freud, le terme d’« amnésie infantile » renseigne également sur le développement de la mémoire chez l’enfant. Ce phénomène renvoie au fait qu’une fois adulte il est quasiment impossible, pour tout un chacun, de se rappeler d’événements survenus avant l’âge de trois ans, et les souvenirs d’événements survenus entre trois et sept ans sont peu nombreux. La maturation des régions cérébrales indispensables à la constitution de la mémoire autobiographique, et notamment des régions préfrontales, ne serait pas suffisante chez le jeune enfant pour organiser et maintenir les traces dans leur contexte (le lieu et le moment où l’événement s’est déroulé).

Le fait que l’oubli soit plus marqué chez les très jeunes enfants que chez les plus âgés est en phase avec les mécanismes de la neurogenèse, c’est-à-dire la production de neurones. Dans nombre de régions du cerveau, celle-ci est en grande partie terminée à la naissance, mais pas dans l’hippocampe, zone carrefour de la mémoire, où la production atteint son maximum durant les premiers mois de vie puis diminue jusqu’à l’âge adulte. Cette neurogenèse pourrait modifier l’architecture des réseaux neuronaux et perturber l’intégrité des synapses récentes, empêchant ainsi la stabilisation des traces mnésiques. Les souvenirs des événements seraient affaiblis, voire effacés, et il faudrait attendre que le niveau de neurogenèse diminue pour que des souvenirs stables puissent à nouveau se former.

D’autres hypothèses explicatives à l’amnésie infantile ont été établies dans le domaine des sciences cognitives. En premier lieu, elles insistent sur l’importance du langage dans le développement de la mémoire épisodique. Dès l’acquisition du langage, les enfants peuvent partager leurs souvenirs avec autrui en leur donnant une forme spécifique, ce qui permet de les consolider à long terme et de les récupérer ultérieurement. Ainsi, lorsque des parents échangent avec leurs enfants sur ce qui s’est passé durant la journée, ils imposent le plus souvent une structure temporelle. Les échanges conversationnels permettent ainsi d’organiser les souvenirs selon une certaine chronologie avec un début de l’action puis une fin et d’y associer des détails ou des impressions. De la même façon, l’enseignant est souvent amené à reprendre le déroulement d’une activité qu’il vient de proposer pour réactiver avec les enfants les nouveaux concepts qu’ils ont manipulés.

Le rappel des événements épisodiques repose sur la capacité à voyager mentalement dans le temps grâce à la conscience de soi dans le présent. Cette conscience de soi est encore immature chez le jeune enfant, ce qui expliquerait qu’il ne soit pas en mesure d’organiser ses souvenirs. La conscience de soi se construit progressivement : le petit enfant ne se reconnaît dans un miroir que vers l’âge de dix-huit mois, il ne peut se décrire physiquement véritablement que vers quatre ans environ et un peu plus tard pour les traits de caractère. Il en va de même pour la théorie[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études, directeur de l'unité 1077 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, université de Caen Normandie

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