MÉMOIRE COLLECTIVE
Un concept interdisciplinaire
Par-delà les considérations à caractère sociologique et psychosociologique, Halbwachs soulève des questions anthropologiques relatives à l'insertion de l'homme dans la culture, aux sentiments d'identité et aux identifications, aux liens sociaux soutenus par le partage des mémoires. De plus, par ses méthodes de recherche qui ne cessent d'interroger les liens entre le social et l'individuel à travers la pluralité des milieux, Halbwachs montre la fécondité des cheminements croisés, de la sociologie à la psychologie, de l'histoire à la psychologie sociale et à la possibilité d'une sociologie phénoménologique. Toutefois, les mémoires collectives ne sauraient être confondues avec celles que l'historien cherche à reconstituer et qui peuvent être qualifiées de « mémoires historiques ». Ces dernières font l'objet d'un travail scientifique qui cherche à découvrir les grandes périodes marquant la vie des sociétés et leurs mutations. Les mémoires collectives, au contraire, sont faites de mémoires individuelles et de leurs relations, elles ne se constituent pas à partir de l'histoire apprise, mais à partir des expériences vécues.
On peut penser que l'attention portée à la pluralité des mémoires sociales était marquée par la période historique, entre 1920 et 1944, durant laquelle ces travaux furent menés. Ces recherches faisaient écho à une époque où les contenus des mémoires nationales s'opposaient et pouvaient apparaître comme des facteurs majeurs de l'histoire immédiate.
L'histoire plus récente n'a fait que confirmer l'intérêt de cette problématique. L'importance reconnue à ces travaux par nombre de chercheurs en sciences sociales s'explique sans doute par leur caractère fortement contemporain. Les régimes totalitaires tentèrent, dès avant le déclenchement de la guerre en 1939, de rassembler les mémoires diverses sous le contrôle d'une mémoire nationale reconstruite et considérée par le gouvernement comme exclusive et chargée de légitimer les pouvoirs. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, du moins en Occident, la libération des souvenirs fut accomplie par la levée de ces censures. La nouvelle configuration culturelle fit surgir des attitudes contradictoires à l'égard du passé, les uns cherchant à oublier et à faire oublier les échecs et les humiliations, les autres cherchant à lutter contre cette tendance à l'oubli, en faisant de la mémoire, un devoir. Conformément aux enseignements d'Halbwachs, il s'agit là moins de débats d'historiens entre des « mémoires historiques », que de luttes entre mémoires collectives construites à partir des expériences douloureuses des familles et des individus. On le vit rapidement en France, après la fin des combats, où s'opposèrent deux reconstructions du passé : l'une élaborée par les mouvements de la France libre, exaltant la nation réconciliée dans la victoire, l'autre, construite par les dirigeants du Parti communiste, exaltant le combat du communisme contre le nazisme et les liens franco-soviétiques. Marie-Claire Lavabre, à travers l'exemple du P.C.F., supposé capable de contrôler une mémoire collective du parti, montre que les politiques de la mémoire peuvent rester lettre morte (Le Fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, 1994). Au niveau international, d'autres conflits ont opposé les responsables de l'éducation concernant les rédactions contestées des manuels scolaires ; chaque critique reprochant à des manuels étrangers de transmettre une mémoire contestable des événements de la guerre. Ces conflits sont d'autant moins évitables qu'ils mettent en jeu des identités nationales ou groupales et les affectivités politiques qui les soutiennent.
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Écrit par
- Pierre ANSART : professeur émérite, université de Paris-VII-Denis-Diderot
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Média
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