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MÉMOIRES (Baron Haussmann)

Pour ou contre Haussmann ? Préfet de la Seine de juin 1853 à janvier 1870, Haussmann fut-il un bienfaiteur, le bâtisseur du Paris moderne, l'inventeur d'un urbanisme opérationnel ou « l'éventreur » de la capitale, en zélé serviteur de Napoléon III ? À ces questions est ordonné un débat que plusieurs biographies – celle de Michel Carmona, Haussmann (Fayard, 2000), Nicolas Chaudun, Haussmann au crible (Éd. des Syrtes, 2000), Georges Valance, Haussmann le grand (Flammarion, 2000) – ont récemment nourri, mais dont la pièce maîtresse est constituée par la nouvelle édition, établie par Françoise Choay, des Mémoires (Seuil, 2000) du célèbre baron.

Composé de trois tomes – ici réunis en un seul volume –, publiés à la fin du xixe siècle (1890-1893), ce texte est formé de « mémoires », notes et rapports qui, mis en ordre, se présentent d'abord comme la défense d'une œuvre de bonne heure contestée.

Dans une longue introduction, Françoise Choay, à qui l'on doit des ouvrages consacrés à l'urbanisme en général, et à Paris en particulier, fait justice des griefs ordinairement adressés au préfet. Reprenant l'un après l'autre les principaux chefs d'accusation – urbanisme policier, travaux dispendieux, disparition du vieux Paris, enlaidissement de la capitale, déplacement de la population ouvrière –, elle les récuse ou les tempère. Sans doute, le maintien de l'ordre fut-il une préoccupation majeure du régime ; mais dans son entreprise Haussmann s'est nettement démarqué des objectifs poursuivis par la préfecture de police ; Ferry a dénoncé les « comptes fantastiques d'Haussmann », mais la théorie des « dépenses productives » peut lui être valablement opposée ; d'irréparables destructions ont été opérées, mais l'attachement au patrimoine, si vif aujourd'hui, n'était guère dans l'air du temps ; l'harmonie des formes n'est, par ailleurs, nullement oubliée dans la conception de la ville nouvelle, et l'accent peut être au contraire mis sur la beauté de l'architecture haussmannienne, « avatar ultime et chant du cygne » de l'esthétique néo-classique ; quant au transfert des ouvriers du centre rebâti vers la périphérie des communes annexées en juin 1859, le baron a été conscient de ses multiples inconvénients et, au-delà de l'amélioration du logement social, il envisageait l'aménagement de terrains libres en banlieue ainsi que le développement du réseau viaire.

On peut donc passer outre à la polémique qui a ressurgi lors du centenaire en 1991 de la mort du préfet, et aux acerbes critiques formulées par Alexandre Gady (« Contre Haussmann », in Commentaire, no 75) à l'encontre d'une série de mythes (de la ville-taudis qu'Haussmann aurait fait disparaître, des espaces verts créés, du grand homme, etc.). La lecture des Mémoires permet de prendre la mesure de l'œuvre accomplie. On y trouve d'abord relatée la carrière de celui qui y a attaché son nom. On y trouve ensuite exposés, après les problèmes à résoudre – de circulation, d'hygiène, de sécurité –, les préceptes qui l'ont guidé – élargir, aérer, assainir –, les moyens employés et les réalisations effectuées. Si ces dernières ont été vivement contestées, notamment par Zola et les Goncourt, elles ont aussi reçu le soutien d'observateurs autorisés, comme Maxime Du Camp et César Dali qui, prenant acte des transformations urbaines exigées par la révolution industrielle, ont salué l'avènement de la ville nouvelle.

La méthode appliquée dans la poursuite de ce dessein procède d'une approche « holiste » du problème urbain dont Françoise Choay souligne bien l'originalité. Pour la première fois, la ville est conçue comme une totalité, un espace désormais destiné à être[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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