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MÉMOIRES ALLEMANDES (dir. É. François et H. Schulze) Fiche de lecture

Avec leur trilogie sur Les Lieux de mémoire, parue de 1984 à 1992, Pierre Nora et son équipe n'avaient pas en vue seulement l'inventaire des monuments, des personnalités ou des endroits qui, au fil des siècles, hantent les esprits des Français. Événements, institutions, slogans et objets symboliques, à condition d'avoir été les catalyseurs d'émotions largement communautaires, entraient aussi en ligne de compte. Le but était de dégager l'ensemble des éléments composant la « mémoire nationale » de la France.

Ce genre de recherche a fait école dans presque toute l'Europe. En Allemagne, à partir de la fin des années 1990, les « lieux de mémoire » ont été répertoriés et analysés à leur tour, sous la houlette des historiens Étienne François et Hagen Schulze. Leur travail a débouché en 2001 sur la publication de trois volumes aux éditions Beck, à Munich.

C'est une version différente de ce travail, à la fois réduite et réorganisée, qui nous arrive en français sous le titre Mémoires allemandes (trad. B. Lortholary et J. Étoré, Gallimard, 2007). Il n'est resté qu'un quart environ des contributions initiales : 33 sur 121. Ample éventail, pourtant. Et qui n'a pas été facile à réaliser. Définir une « identité allemande », comme Étienne François l'explique dans son préambule, est déjà complexe en soi, dans la mesure où celle-ci relève de données fluctuantes et problématiques.

En effet, l'Allemagne résulte d'un territoire qui n'a été unifié qu'en 1871. Son histoire s'est élaborée à partir d'une accumulation de déchirures violentes, de la Réforme à la mise à bas des institutions monarchiques qui a suivi la Première Guerre mondiale, et à l'opposition politique entre deux États allemands de 1949 à 1989. C'est la communauté de langue et de culture qui a constitué durablement le ciment de signes identitaires, beaucoup plus qu'un sentiment d'appartenance « nationale ». Encore qu'un « nationalisme » exacerbé ait été à l'honneur en deux périodes au moins : au début du xixe siècle, lors de la lutte contre les troupes de Napoléon, l'envahisseur, et de 1933 à 1945, sous le régime nazi.

D'où, par compensation d'un manque, le rôle de l'imaginaire dans la possibilité de se revendiquer « Allemand ». Le livre en donne de multiples exemples. Ainsi, l'admiration vouée à Siegfried, héros de l'épopée des Nibelungen. Les contes des frères Grimm lus au xxe siècle comme « source authentique du folklore germanique ». L'évasion des adolescents dans les rêveries allemandes des romans d'Indiens de Karl May. Jusqu'au nom d'Auschwitz qui, à partir des années 1960 est venu travailler cet imaginaire en associant cette fois identité et inhumanité.

Mais les rites de la vie en société ont également imprégné la mémoire collective des Allemands. Par le biais de monuments chargés d'histoire, comme à Berlin le Reichstag, ou Parlement. À travers le respect porté à des villes au patrimoine mythique, comme Weimar où se manifeste par excellence l'héritage du « classicisme ». En vertu d'un culte à l'égard d'objets de civilisation, comme le « casque à pointe » des soldats de Guillaume II, ou l'automobile promise au « peuple » par Hitler, la « Volkswagen », dont les prototypes sortent en 1938 d'une usine confiée à la direction de l'ingénieur Ferdinand Porsche. En considération, enfin, des épreuves subies, comme les bombardements sur Dresde, du 13 au 15 février 1945.

À propos de ces bombardements par les Britanniques, il est navrant, cependant, que l'auteur qui rend compte ici de leur retentissement « mémoriel » se permette de chiffrer à 100 000, sinon plus, le nombre de morts. Ses sources ?[...]

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