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MÉMOIRES, Cardinal de Retz Fiche de lecture

Un acteur de l'histoire

Pour cela, il faut convenir qu'on a fait, soi-même, quelques erreurs, même si elles ont pu être guidées, en définitive, par le souci de l'intérêt général. Il faut écrire qu'on a pu être ridicule dans quelques circonstances. Parfois aussi, les mauvais conseillers et les calculs croisés ont fait de vous une dupe. Le tout est d'en tirer parti, sans animosité ni honte, en Grand de cœur, d'esprit et de naissance. Un Grand qui considère rétrospectivement les méandres d'une histoire en butte à l'action politique, et qui a bien conscience qu'il a été acteur, dans tous les sens du terme, puisqu'il a appris, dès son jeune âge, au contact de la philosophie, des poèmes, des comédies et des tragédies des années 1630, que le jeu caractérise les actions des hommes, que l'on agit toujours devant un parterre et selon une disposition esthétique qui comporte un début, un milieu et peut-être une fin, avec au centre de la pièce, des coups de théâtre, des actions héroïques et des déclarations qui font penser ; et à la fin, il peut y avoir une catastrophe qui prend tous les acteurs et les fait sombrer dans le tragique. Dans ce « théâtre nouveau » sur lequel méditèrent Shakespeare, Calderón ou Corneille, les hommes sont faibles, soumis au hasard, abandonnés par la Providence ou incapables de la reconnaître : cherchant à déchiffrer le texte confus des circonstances et des passions, ils ne parviennent qu'à agir en aveugles ou en calculateurs : « Le fort de M. le cardinal Mazarin, était proprement de ravauder, de donner à entendre, de faire espérer ; de jeter des lueurs, de les retirer ; de donner des vues, de les brouiller. Voilà un génie tout propre à se servir des illusions que l'autorité royale a toujours abondamment en main pour engager à des négociations. »

Reste que ce drame de l'illusion et de l'amour-propre, quand il est bien narré et vécu avec ironie et distance, peut être intéressant, et même fort drôle. Le spectacle de l'histoire, s'il peut être la représentation d'une tragédie, ou de la disparition d'un rêve d'équilibre qui tenait unis le pouvoir du roi, celui des parlements et celui des aristocrates, se donne surtout comme la narration d'aventures enjouées, et une formidable galerie de portraits des protagonistes de la Fronde. Si la vraie vertu n'est pas, ou ne peut pas être, autant le dire, et puis, de Commercy, en sourire. On peut à la fois dévoiler les mystères de l'histoire et de l'État et affirmer que les acteurs de la Fronde, en particulier le Parlement, cette « Compagnie », ont eu tort de le faire : « [le Parlement] déchirait le mystère de l'État. Celui de la France consiste dans cette espèce de silence religieux et sacré dans lequel on ensevelit, en obéissant presque toujours aveuglément aux rois, le droit que l'on ne veut croire avoir de s'en dispenser que dans les occasions où il ne serait pas même de leur service de leur plaire. » Déchirer le voile, et montrer, dès que les mythes ont disparu, que le pouvoir est fragile : l'analyse, la distance et l'ironie saturent ce texte politique et contourné.

À partir de ce regard qui ne renonce pas, dans les portraits comme dans les analyses, à quelque cruauté, derrière ce divertissement qu'offrent ces mémoires adressés à une ex-frondeuse, peut-on enfin supposer qu'il y aurait un principe commun autre que le théâtre et les passions, un envers de sagesse, avec Dieu pour garantie, une histoire respectable avec une fin noble et transcendante ? Retz dit lui-même qu'il n'a jamais eu beaucoup de talent pour traiter de cette matière, ni d'intérêt pour le faire. D'ailleurs, comme on l'a dit, le récit s'interrompt brusquement, marquant par son inachèvement l'impossibilité de conclure, ou l'inutilité de le faire.[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Autres références

  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.

    • Écrit par
    • 7 270 mots
    • 3 médias
    Que cette dernière ait été à l’initiative des Mémoires du cardinal de Retz retiré des affaires et revivant par la médiation du récit à la première personne ses déboires politiques du temps de la Fronde, cela laisse imaginer quels liens existent entre ces genres périphériques que sont la correspondance,...