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MÉMOIRES, Saint-Simon Fiche de lecture

Une histoire de l'Histoire

Il s'agit donc d'écrire, à travers le regard d'un aristocrate, l'histoire du royaume, rien de moins. Saint-Simon se donne comme le rédacteur distant d'une histoire subjective de l'Histoire, préalablement « vécue », et même déjà écrite par Dangeau : « Pour être utile, il faut que le récit des faits découvre leurs origines, leurs causes, leurs suites et leurs liaisons des uns aux autres, ce qui ne peut se faire que par l'exposition des actions des personnages qui ont eu part à ces choses. » Aristocrate avant tout, il regrette le temps où ses pairs et ses aïeux avaient encore quelque pouvoir effectif sur la politique et l'économie, où l'appareil exécutif de la monarchie n'était pas absolu, mais équilibré par le pouvoir des princes et des Grands. Un temps d'avant la Fronde et d'avant Louis XIV. Le tout premier chapitre des Mémoires, qui établit une politique et une économie morale fondée sur la charité est, à cet égard, significatif. Témoin privilégié des intrigues, des deuils, des réjouissances de la cour, et acteur, en partie, Saint-Simon est aussi une sorte d'opposant a posteriori. Son texte, qui semble – mais semble seulement – écrit à la hâte, adopte simultanément un recul analytique et ironique : la « morgue » aristocratique triomphe dans l'enclos d'un cabinet de travail, en représentant les moments où le règne de Louis XIV se délite. Parfois, de grands tableaux ou rappels historiques sur le règne de Louis XIII, le « dernier grand roi », montrent combien la décadence s'est emparée d'un royaume tout entier abandonné aux traitants – financiers qui négocient avec le roi le droit de lever des impôts à leur profit –, marchands et bourgeois anoblis. Persuadé que toute objectivité est impossible, Saint-Simon juge, tranche et condamne le roi, sa politique despotique, les usurpations de la noblesse de robe, les écarts des ministres, les scandales de la bâtardise et la pruderie hypocrite de la seconde reine, Madame de Maintenon, veuve Scarron.

Mais, grand seigneur nostalgique, Saint-Simon fait partie de ceux qui, malgré tout, savent se tenir, et écrivent, pour eux et pour les leurs, le ressentiment et la nostalgie d'une période perdue. Saint-Simon ne prétend pas être un artiste, encore moins un écrivain : ce serait déchoir. Il parle et écrit avec hauteur, comme pour lui-même, sur l'ambition, la lâcheté, la passion de lucre, la petitesse des Grands et l'effronterie des parvenus. C'est là qu'il excelle, ciselant ses phrases tout en leur laissant toujours l'allure du négligé, guettant le féroce ou le ridicule pour mieux cerner une présence. Ainsi de la maréchale de Villeroi : « Ses bras étaient plus gros qu'une cuisse ordinaire, avec un petit poignet et une petite main mignonne au bout, la plus jolie du monde ; le visage exactement comme un gros perroquet, et deux gros yeux sortants qui ne voyaient goutte ; elle marchait aussi tout comme un perroquet. »

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Média

Versailles - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Versailles

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