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MÉMOIRES URBAINES (anthropologie)

Méthodes et démarches de recherche

Au-delà de cette diversité de thèmes et de champs de recherche, les travaux sur les mémoires en ville adoptent généralement deux types d’approches, qui ne s’excluent pas forcément : d’une part une perspective centrée sur les mémoires narratives et déclaratives, qui est l’approche dominante ; d’autre part un travail sur les mémoires incorporées (habit memory), des mémoires qui se transmettent à travers des routines et des gestes répétés. Lotte Pelckmans s’inscrit dans cette seconde approche et travaille sur les mémoires de l’esclavage, à partir de l’analyse de la migration des populations rurales du Mali vers les villes de Bamako et Paris (2013). L’auteure montre qu’en l’absence de formes commémoratives et discursives de cette mémoire de l’esclavage, elle se maintient et se transmet de manière silencieuse à travers les mobilités de travail en ville. Dans les diasporas urbaines maliennes, les classes sociales privilégiées embauchent pour le travail domestique leurs connaissances venant du même village, des personnes précaires venues chercher du travail en ville. Ces relations et formes de travail réactualisent les anciens rapports hiérarchiques du village, ainsi que des mémoires incorporées de l’esclavage. Dans un contexte très différent, des recherches menées en Europe du Nord sur les pratiques des jardins partagés mettent en évidence le maintien et la transmission en ville des mémoires sociales écologiques et des savoir-faire agricoles oubliés à travers les routines corporelles du jardinage (Barthel, 2014). D’autres recherches montrent que la nature et le paysage urbains sont les supports d’une mémoire environnementale construite par nos marches quotidiennes, une mémoire qui nous aide à nous repérer dans la ville et à nous y attacher (Rishbeth, 2014).

Un apport majeur des travaux sur les mémoires urbaines est la mise en place de méthodes de recherche collaboratives et participatives, et l’adoption d’une vision différente de la réflexivité en anthropologie. Dans des travaux réalisés en France sur les mémoires des migrations, Véronique Dassié et Julie Garnier montrent que cette réflexivité ne doit pas avoir pour seul but de cerner la subjectivité du chercheur dans la démarche de connaissance et de production du savoir, mais surtout de mettre en lumière la façon dont le projet et le travail de mémoire se nourrissent de sa présence (2011). Sur le terrain, l’importance du chercheur ne repose pas tant sur les données de recherche recueillies que sur l’atout que représente sa contribution en tant que personne-ressource auprès des acteurs impliqués dans ces dispositifs.

L’audiovisuel (photographies, films, sons) est souvent convoqué dans les travaux sur les mémoires urbaines, en tant que régime narratif et sensible, que cela soit dans des démarches collaboratives ou non. Finalement, le chercheur n’est pas tant engagé dans un travail de « recueil » de mémoires que de participation à la mise en forme et à la circulation publique des mémoires communautaires (Conord, 2016), des mémoires éphémères appartenant à des populations minorées ou en déplacement permanent (Lévy-Vroelant, 2013), tout en essayant de les articuler à la mémoire d’autres groupes et de produire des mémoires partagées.

Les travaux de recherche sur les mémoires urbaines nous invitent sans doute à dépasser une approche holistique de la mémoire et de la ville. Elles ne peuvent pas être conçues comme des entités stables et collectives déjà constituées, et amenées ultérieurement à se transformer, mais comme le résultat de mises au travail par des acteurs et des dispositifs variés. La formation des « mémoires collectives » reste un vrai défi pratique et cognitif en contexte urbain (Joseph, 2007) si on pense que le travail de mémoire suppose en soi une tendance à la singularisation et à la particularisation,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en anthropologie, habilitée à diriger des recherches, université de Lyon-II

Classification

Média

Boston, États-Unis - crédits : Harshil Shah/ Flickr.com ; CC BY-ND 2.0

Boston, États-Unis