Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ARCHAÏQUE MENTALITÉ

L'adjectif « archaïque » est de plus en plus employé pour qualifier un état de civilisation qu'on appelait autrefois « primitif », parce que ce dernier terme semblait impliquer, d'une part un certain jugement de valeur, et d'autre part une conception évolutive déterminée. Au sens strict, l'archaïsme serait propre aux temps préhistoriques. Mais, en règle générale et par extension, on appelle populations archaïques celles qu'étudient les ethnographes et qui sont restées plus ou moins en dehors du progrèstechnique et culturel, caractéristique de notre propre civilisation. Il importe donc d'abord de définir les critères qui permettent d'identifier les sociétés que l'on appellera archaïques, ensuite de savoir quelles sont, entre celles-ci et les nôtres, les différences et les rapports. S'agit-il d'une étape dans un déroulement historique continu, ou bien les peuples archaïques sont-ils par nature distincts des peuples plus évolués ? C'est à ce niveau que se pose la question de savoir s'il existe une mentalité archaïque ayant ses caractères propres. Cela revient à se demander si les écarts culturels entre les uns et les autres de ces peuples sont tels qu'ils supposent ou produisent chez les individus des formes de pensée différentes.

Recherche d'un critère de l'archaïsme

Les peuples que l'on appelait autrefois sauvages, puis primitifs et que l'on préfère appeler maintenant archaïques, constitueraient une catégorie sociologique facile à définir s'ils s'étaient tout simplement, comme on l'a cru parfois, et comme le suggérait entre autres Rousseau, arrêtés à un stade ancien du développement culturel et s'ils représentaient des survivances intactes des modes de vie collective de la préhistoire tels qu'ils existaient par exemple à l'époque paléolithique ou à l'époque néolithique. Les anthropologues ont fait justice de cette hypothèse et montré que ces sociétés ont derrière elles une histoire aussi longue que la nôtre, qu'elles se sont, elles aussi, transformées au cours des siècles, d'une manière différente et peut-être moins perceptible, cependant non négligeable. Dans ces conditions, l'archaïsme des « primitifs » actuels ne peut être que relatif, et les comparaisons avec la préhistoire ne sont instructives et légitimes que si elles portent seulement sur des caractères particuliers tels que l'usage d'une technique de la pierre taillée analogue à celle de l'époque paléolithique.

Il est pourtant indispensable, même avec ces restrictions, de pouvoir établir une typologie, fût-elle grossière, qui permette de distinguer les sociétés archaïques des sociétés modernes, ne serait-ce que pour délimiter le domaine d'investigation des ethnographes qui étudient les premières et qui trouvent dans cette étude, comme l'a montré Claude Lévi-Strauss, un dépaysement fécond. On est ainsi conduit à chercher quels sont les critères qui permettent d'affirmer qu'une société est archaïque (au sens relatif du mot) ou ne l'est pas, c'est-à-dire les différences fondamentales entre le type social archaïque et le type social moderne.

Il faut écarter tout de suite l'idée que les prétendus primitifs seraient caractérisés par une sorte d'infériorité ou, en tout cas, d'hétérogénéité congénitale par rapport aux prétendus civilisés. Certes, on a pu soutenir que certaines races, par exemple celle des Austro-Malésiens ou celle des Pygmées, descendaient d'un rameau hominien distinct de l'Homo sapiens, tout comme jadis l'homme de Neanderthal avec lequel elles ont des ressemblances physiques. Mais, de toute manière, cette remarque ne s'appliquerait qu'à une petite partie de ceux qu'on nomme archaïques, et, d'autre part, c'est un fait prouvé par[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par et
    • 16 158 mots
    • 1 média
    ...considérable à la fois d'offrir une nouvelle méthode descriptive où l'observateur tient ses distances vis-à-vis de sa propre rationalité, de manifester la spécificité d'une pensée « archaïque », d'ouvrir la voie à une anthropologie religieuse. De même, après que Mauss eut réexaminé le phénomène de la...
  • ÉVÉNEMENT, sociologie

    • Écrit par
    • 3 191 mots
    Mircea Eliade a bien montré que « l'histoire des sociétés primitives se réduit exclusivement aux événements mythiques qui ont lieu in illo tempore et qui n'ont cessé depuis lors jusqu'à nos jours », c'est-à-dire que tous les événements qui se déroulent dans le temps vécu par les hommes...
  • LÉVY-BRUHL LUCIEN (1857-1939)

    • Écrit par
    • 1 653 mots
    Pour distinguer la mentalité primitive de la nôtre, Lévy-Bruhl la qualifie de mystique (c'est-à-dire fondée sur des croyances à des forces surnaturelles) et de prélogique, voulant signifier par là non point qu'elle est antérieure ou opposée à la logique, mais qu'elle n'obéit pas exclusivement aux lois...
  • MIRACLE

    • Écrit par
    • 6 622 mots
    Pour l'homme archaïque, le merveilleux et le prodigieux sont des index de transcendance qui s'imposent spontanément, qui vont de soi, qui sont « tout naturels ». Il se représente le divin, le sacré, le numineux, en termes de puissance, et même de surpuissance, de toute-puissance. Il est...
  • Afficher les 7 références