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ARCHAÏQUE MENTALITÉ

De l'archaïsme à la civilisation prométhéenne

Il ne faut pas confondre la question soulevée ici avec le problème philosophique, longtemps débattu, du postulat de l'unité et de l'universalité de la nature humaine. D'ailleurs, l'hypothèse d'une disparité intellectuelle d'origine raciale étant écartée, il est évident que ce n'est pas dans des dispositions congénitales mais dans des contextes culturels différents que l'anthropologie doit chercher les causes et les caractères distinctifs des formes de pensée.

Mais, même réduite à ces limites précises, la comparaison peut engager plus ou moins profondément la spécificité de l'archaïsme. Il s'agit en effet de savoir si le système culturel des sociétés dites primitives conduit simplement les individus à élaborer des croyances et à adopter des attitudes différentes des nôtres ou bien s'il produit en eux des dispositions intellectuelles propres, une manière particulière de penser, de raisonner, de saisir le monde et de se saisir eux-mêmes, c'est-à-dire en somme une mentalité propre à ces sociétés et qu'on appellera la mentalité archaïque ou primitive. On peut résumer les nombreuses prises de position à ce sujet en les rangeant en trois catégories principales, selon un développement historique où la théorie de Lucien Lévy-Bruhl a établi une coupure décisive.

L'animisme et le rationalisme sociologique

La première tentative d'analyse sociologique vraiment importante des croyances archaïques a été l'œuvre d'une école appelée animiste et dont les principaux représentants furent Spencer, Tylor et Frazer. Ramenée à ses lignes les plus générales, au-delà des aspects particuliers que lui ont donnés chacun de ces auteurs, l'animisme est une interprétation à la fois rationaliste et évolutionniste de la pensée archaïque. Dans cette conception, l'homme primitif aurait élaboré ses premières croyances en cherchant à expliquer par des raisonnements les phénomènes qui le surprenaient, notamment les visions qu'il avait dans ses rêves et qui, tout naturellement, lui semblaient douées d'une réalité objective. Il en aurait conclu que son existence pouvait être double et qu'il possédait une âme séparable. Puis, généralisant son interprétation du monde à partir de cette première croyance, il aurait supposé que les phénomènes naturels étaient également produits par des âmes analogues à la sienne et capables d'agir volontairement. Ainsi, la causalité se combinant à la similitude, un raisonnement cohérent aurait conduit les hommes archaïques à peupler l'univers d'esprits, à animer les êtres et les choses.

Cependant, tout en montrant l'identité des mécanismes intellectuels entre la pensée archaïque et la nôtre, l'animisme faisait des croyances primitives la conséquence d'une première erreur de jugement. C'est à ce sujet, et pour aller plus loin dans l'interprétation rationaliste, que Durkheim s'est opposé à l'animisme. Pour l'auteur des Formes élémentaires de la vie religieuse, la pensée archaïque nous donne l'image des premières étapes d'une évolution intellectuelle continue, et elle met en œuvre les principes rationnels d'une manière qui prépare directement la pensée scientifique. Durkheim retrouvait par exemple dans les rituels mimétiques des tribus australiennes une sorte d'énoncé concret de la loi de causalité. De la même façon, toutes les catégories de la raison sont en œuvre dans les croyances primitives, ce qui démontre du même coup leur origine sociale. Ainsi, de la pensée primitive à la nôtre, l'explicite succède à l'implicite : la pensée primitive est gauche et excessive, confond ce qu'il faudrait seulement rapprocher, oppose ce qu'il suffirait de distinguer, mais réalise déjà correctement les opérations intellectuelles[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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