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MENTALITÉS, histoire

Enfermer l'histoire dans l'univers mental ?

Michel Foucault a séduit les historiens non pour sa conception historiciste des structures de la pensée mais pour son assimilation des enjeux du savoir à des enjeux de pouvoir. Tout énoncé instaure un rapport d'autorité et le système social peut se déduire des termes par lesquels une collectivité s'accorde sur les fondements du vrai. Philippe Ariès le rejoint dans cette approche globalisante des mentalités (L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, 1960 ; L'Homme devant la mort, 1977), qui fait de l'univers mental le seul lieu à partir duquel peut se comprendre le mouvement de l'histoire. Un autre courant, celui de Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Nicole Loraux et Marcel Detienne, qui ont considérablement renouvelé notre vision du monde gréco-romain, semble s'enfermer également dans l'analyse des discours. Mais leur lecture structurale et psychologique des textes (dans le sillage d'Ignace Meyerson) reconstitue l'univers sensoriel et la dynamique sociale du monde antique à partir de son imaginaire. La notion d'imaginaire, telle qu'elle a été adaptée à l'étude de la société médiévale par Jacques Le Goff, propose un fécond prolongement au concept de mentalités. Elle part du cadre contraignant de l'idéologie chrétienne, celle de la culture cléricale, mais restitue au changement social sa capacité d'inventer de nouvelles solutions morales et un nouvel équilibre psychologique de l'individu.

L'attrait d'une réduction du champ de l'histoire à l'univers mental a suscité chez les historiens, lassés par l'austérité de l'analyse quantitative, un retour à l'analyse des textes les plus discursifs. L'étude des mentalités envahit aujourd'hui, des deux côtés de l'Atlantique, tous les secteurs de l'histoire culturelle et intellectuelle pour retrouver dans les transformations des normes et des pratiques la dynamique et les tensions des rapports sociaux. L'historien des sciences Geoffrey E. Lloyd (Pour en finir avec les mentalités, 1994) remet en question la notion de mentalités, victime de son succès. Prenant le cas de l'apparition de la pensée scientifique dans le monde grec, il reproche au concept de mentalités d'attribuer à une mutation des structures de la pensée (le passage de la pensée pré-logique au raisonnement logique) ce qui est imputable à des changements de posture intellectuelle dus aux transformations sociales et politiques de la cité grecque. Le questionnement sur l'organisation de la cité et l'essor de l'argumentation juridique auraient fait naître l'art de la démonstration et de la preuve sans rien changer aux structures de l'esprit humain.

Ce procès est peut-être un faux procès dans la mesure où Marc Bloch et Lucien Febvre n'ont jamais nié l'existence d'une interaction constante entre les changements psychologiques et sociaux. La tendance actuelle des historiens à privilégier les expressions discursives de la vie mentale conduit également à préférer au concept de mentalités celui de représentations qui réduit la vie psychique à ses expressions les plus intellectuelles. Faut-il alors considérer comme une avancée le remplacement du concept de mentalités, forgé par les fondateurs des Annales pour désigner tout ce qui est voué au changement dans la vie mentale, par le concept de représentations conçu trente ans plus tôt par Durkheim pour donner un fondement psychologique au système social ?

— André BURGUIÈRE

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  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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