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MERCANTILISME

La monnaie, du XVIe au XVIIIe siècle

La monnaie n'est pas un bien comme les autres

L'interrogation sur la nature de la monnaie occupe une place essentielle dans la littérature mercantiliste. Cette interrogation correspond à plusieurs questions précises, plus ou moins mises en avant selon l'actualité, mais traitées dans un même esprit. On se demandait, en particulier au xvie siècle, comment expliquer la hausse des prix ; s'il était bien que le prince change la valeur de la monnaie ; si et pourquoi un accroissement de la quantité de monnaie était désirable dans un pays.

Les arguments ont forcément varié avec les faits et aussi avec la connaissance, très lacunaire, qu'on avait de leur ampleur. Le point commun de toute la littérature considérée n'apparaît que si on la compare avec les écrits classiques des disciples d'Adam Smith : pour tous les mercantilistes, la monnaie n'est pas un bien comme les autres, elle importe plus que les autres. Alors que la pensée classique va précisément enseigner le contraire : que la monnaie est une marchandise comme les autres, soumise comme les autres aux lois de l'offre et de la demande ; une marchandise moins importante même que la plupart des autres, « un voile » selon l'expression de Jean-Baptiste Say.

Le surhaussement des monnaies

Les prix de chaque pays s'exprimaient dans des unités de compte spécifiques, comme la livre en France, alors que les pièces d'or ou d'argent étaient désignées autrement, comme l'écu. Les espèces métalliques de tous pays étaient relativement interchangeables en raison de leur titre et de leur poids. Ces pièces circulaient donc hors de leurs pays d'origine, selon la connaissance et la confiance que l'on avait de leur qualité. Il revenait au prince, en y portant son sceau, de décider combien un écu valait de livres de son pays. Cette valeur était en principe imposée par la tradition, mais il arriva aussi que tel prince décide qu'un écu ne vaudrait plus une livre mais, disons, une livre et demie, ce que l'on appelait le « surhaussement » de la monnaie. Philippe le Bel fut pour cette raison qualifié par Dante de faux-monnayeur, falsificatore di moneta, selon l'expression que Bodin approuva.

Le surhaussement présentait pourtant de sérieux avantages. Si le roi de France avait un trésor de 100 écus, il pourrait désormais acheter pour 150 livres de marchandises dans son pays, et non 100 comme avant. Il pourrait surtout rembourser plus facilement ses créanciers. Par ailleurs, le surhaussement devait inciter les espèces à s'accumuler et à demeurer dans le pays. En effet, les détenteurs d'écus paieraient 50 p. 100 plus cher en achetant ailleurs qu'en France. En vertu de l'équivalence de toutes les espèces métalliques, les marchands européens avaient désormais intérêt à se procurer des draps ou des laines en France plutôt qu'ailleurs. Du surhaussement comme de nos modernes dévaluations, on attendait au moins une hausse des exportations et donc un afflux d'espèces étrangères.

Chacun jugeait cependant ces manipulations monétaires indignes d'un roi et Nicolas Oresme les avait déjà condamnées au xive siècle. Les mercantilistes se situent dans cette tradition quand ils prouvent que le prince, en se comportant aussi légèrement, n'en tirerait même pas les avantages escomptés. W.S., l'anonyme auteur anglais du Compendious de 1581, explique que la dévaluation impliquera une hausse des prix intérieurs qui annulera l'enrichissement réel du prince et spoliera les propriétaires terriens qui avaient conclu des baux en monnaie ; d'où de nouvelles hausses des prix et de nouvelles manipulations pour y faire face. Sans compter, ajoutera Law, que l'étranger achètera à bas prix avant la hausse, devenant le principal bénéficiaire de l'opération.[...]

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Écrit par

  • : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-IX-Dauphine

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