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CUNNINGHAM MERCE (1919-2009)

Avant le chorégraphe américain Merce Cunningham, la danse, même moderne, s'inscrivait dans un cadre traditionnel : scène à l'italienne et règles de perspectives frontales, narrativité du spectacle lié à un thème ou à un livret, décors et costumes « signifiants », technique corporelle chargée de véhiculer une émotion. Après Cunningham, toutes ces notions ont explosé, voire sont devenues totalement obsolètes. Il a ainsi créé une véritable révolution dans le monde de la danse en la propulsant du côté de l'art abstrait. Grâce à lui, la danse entre dans la modernité, au même titre que les autres arts. Elle conquiert enfin une totale indépendance en n'étant plus chargée d'une signification autre que celle que suggère le mouvement en lui-même.

Une pensée imprévue dans la danse

Merce Cunningham (de son vrai nom Mercier Philip Cunningham) naît le 16 avril 1919 à Centralia (État de Washington). Bien qu'il commence la danse à l'âge de douze ans et se produise dans des Vaudeville (des spectacles de variétés précurseurs des comédies musicales où les claquettes figurent en bonne place), il s'oriente vers le théâtre et intègre la Cornish School de Seattle (1937-1939), où il suit également une formation en danse. C'est la rencontre, en 1938, avec le compositeur avant-gardiste John Cage, alors pianiste accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird, qui va infléchir son destin. Poussé par ces deux mentors à devenir danseur, il intègre la compagnie de Martha Graham en 1939, où il se produit comme soliste jusqu'en 1945 et y crée des rôles majeurs, notamment dans El Penitente (1940) et Appalachian Spring (1944).

Danseur exceptionnel (la critique le décrit comme « l'un des plus beaux danseurs américains »), Cunningham poursuit une recherche indépendante, et participe, dès 1942, aux spectacles du Bennington College (État du Vermont) avec un solo, Totem ancestor, sur une partition de John Cage. Ce dernier, élève de Schönberg, sera le compagnon et le collaborateur de Merce Cunningham jusqu'à sa disparition en 1992. Il a déjà mis au point une théorie qui fait de la musique un bruit – une matière sonore – soumis, quant à la composition, à des variantes aléatoires calquées sur le Yi Jing chinois (ou I Ching, ou encore Yi King, Livre des Mutations qui regroupe des combinaisons de diagrammes, qui, tirés aléatoirement, permettent de prédire l'avenir). Merce Cunningham voit immédiatement le parti qu'il peut en tirer sur le plan de la chorégraphie, échafaudant ainsi une pensée imprévue dans la danse.

Son principe fondamental est pourtant d'une simplicité biblique : la danse doit se suffire à elle-même. « Je crois profondément que le mouvement est expressif au-delà de toute intention », dit-il. Dès les premières années, il applique ses théories à tous les niveaux du spectacle chorégraphique et radicalise toutes ses idées en fonction de sept postulats :

– n'importe quel mouvement peut devenir de la danse ;

– n'importe quelle procédure constitue une méthode valide de composition ;

– toute partie du corps peut être utilisée ;

– musique, décor, costumes, lumière et danse possèdent une logique propre et une identité distincte ;

– n'importe quel danseur de la compagnie pourrait être soliste ;

– n'importe quel espace convient à la danse ;

– la danse peut parler de n'importe quoi, mais elle traite fondamentalement et, avant tout, du corps humain et de ses mouvements, à commencer par la marche.

S'il remet en cause toute expressivité du chorégraphe ou du danseur, Cunningham ne se détachera jamais de la notion de spectacle. Il ne rejette ni l'accompagnement sonore, ni l'apport d'éléments picturaux en matière de décor. Bien au contraire, il leur donne une place prépondérante en les traitant comme de véritables œuvres[...]

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Écrit par

  • : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse

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