CUNNINGHAM MERCE (1919-2009)
La conquête de l'espace-temps
Mais la grande révolution opérée par Cunningham tient certainement à sa vision de l'espace et à la façon de se mouvoir du danseur en son sein.
Reprenant la théorie d'Einstein (il n'y a pas de point fixe dans l'espace), il déstructure complètement la vision habituelle de la danse dans le théâtre. Il rejette la vision frontale qui était dictée par l'espace du théâtre à l'italienne et les lignes héritées de la danse classique. Ses danseurs peuvent se présenter dans n'importe quelle direction de l'espace : de face, mais aussi de dos, de profil, de trois-quarts... Cunningham utilise les processus aléatoires pour déterminer les éléments et l'organisation de sa chorégraphie (parties du corps en mouvement, directions, déplacements, durées). Du coup, il appartient à chacun de choisir ce qu'il regarde. Cela anéantit définitivement l'idée de soliste et d'ensemble, les événements présentés sur le plateau sont simultanés, sans hiérarchie particulière ; chaque danseur est un centre, tout comme chacun est un individu. Il rejette également toute idée de narrativité de la danse, selon laquelle un ballet doit raconter quelque chose, pour offrir au regard le seul mouvement, en bannissant toute expressivité de l'interprète. « S'il y a un désir d'expression personnelle, affirme-t-il non sans humour, la psychanalyse est le domaine qui convient. » Ces principes sont renforcés par le fait que les mouvements qu'il développe incluent des gestes en apparence « naturels », le rythme étant impulsé par une gestuelle constituée d'une succession de temps forts et faibles, d'élans, d'équilibres brisés dès leur ébauche.
Sa technique, qui sert encore de base aux danseurs du monde entier, est bientôt devenue une référence dans la formation en danse contemporaine. Elle part du postulat que le dos, support essentiel des bras et des jambes, est « assez peu utilisé » et que la danse moderne n'exploite pas assez le bas du corps.
En réalité, sous une apparente simplicité, ses chorégraphies sont extraordinairement complexes et ses danseurs sont des virtuoses de la vitesse et du contrepoids, même si ce n'est pas le but recherché. D'ailleurs, Cunningham reconnaîtra lui-même se lancer dans des compositions impossibles : « Je me souviens qu'une fois cinq mouvements distincts sont sortis ensemble, et j'ai passé des jours, sans musique, à essayer de les mettre ensemble, à me souvenir de leur continuité, tant c'était complexe. Mon système de coordination en a été totalement remanié. »
Il crée des pièces de groupes pour divers interprètes jusqu'à la fondation de sa compagnie, en 1953, La Merce Cunningham and Dance Company. Celle-ci effectue sa première tournée en France et en Autriche en 1964. Là, il crée un event, c'est-à-dire un spectacle unique élaboré pour un lieu de spectacle fortuit. Celui-ci répond avant tout à un problème pratique : la compagnie, invitée à se produire au musée d'Art contemporain de Vienne, s'aperçoit qu'elle ne pourra donner le programme prévu, faute de salle convenable. Merce Cunningham imagine alors un programme, intitulé Museum Event N0 1, qui est constitué d'extraits adaptables pouvant se chevaucher, être présentés indépendamment ou simultanément. Il développe ensuite ce concept de spectacle « portatif », avec parties amovibles, qui peut s'étendre à tout lieu inadapté à la danse. Depuis, les Events sont aussi programmés sur scène, le caractère fortuit de ce type de représentation étant conservé par ses éléments associés de façon aléatoire et indépendante. Ils peuvent être composés d'extraits du répertoire ou d'enchaînements chorégraphiques auxquels s'adjoignent plusieurs possibilités musicales, des décors et des costumes qui changent[...]
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Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
Classification
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