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MERCI POUR LE CHOCOLAT (C. Chabrol)

Avec L'Enfer (1994) et Au cœur du mensonge (1998), Merci pour le chocolat (2000), adapté du roman de Charlotte Armstrong, The Chocolate Cobweb, constitue le terme d'une trilogie dont le thème majeur est la suspicion. Merci pour le chocolat débute dans une ambiance d'apparente normalité bourgeoise, mâtinée de douceur feutrée suisse : une réception mondaine où l'on se congratule mutuellement. Alors que le doute sur soi saisissait les héros des deux films précités, il n'en va pas de même ici : le grand pianiste André Polonsky (Jacques Dutronc), lui, ne doute à aucun moment de son génie. Sa seconde femme, Lisbeth, mère de son fils Guillaume (Rodolphe Pauly), était une remarquable photographe. Louise Pollet (Brigitte Catillon), veuve d'un architecte renommé, est elle-même incontestée dans son travail à l'Institut médico-légal. Même sa fille Jeanne (Anna Mouglalis) se sait séduisante et une pianiste au talent prometteur... Pourtant, au cœur de ces « folies bourgeoises », des failles apparaissent. Pourquoi André Polonsky et Marie-Claire Muller (Isabelle Huppert), héritière des chocolateries Muller, se marient-ils une seconde fois ? De quelle nature fut l'« accident » qui coûta la vie à Lisbeth ? Pourquoi Guillaume semble-t-il si mal dans sa peau ? Que laisse entendre le vieil ami de la famille, Dufreigne (Michel Robin), lorsqu'il insinue que le vieux Muller n'aurait pas apprécié ce remariage ?

En quelques minutes, un nœud de mystères se resserre autour du spectateur. Tout lui devient suspect, le moindre mot, le geste le plus banal... D'autant qu'en parallèle se joue une autre intrigue. La mère d'Axel, le petit ami de Jeanne, livre à celle-ci un secret de famille qui n'en est pas tout à fait un : à sa naissance, Jeanne fut présentée à Polonsky comme sa fille, alors que son épouse Lisbeth venait de donner le jour à Guillaume. Erreur vite rectifiée. Merci pour le chocolat rejoue cette présentation. Mais cette fois, Jeanne devient l'« élève » du virtuose Polonsky. Ce fantasme de reconnaissance sera à son tour perturbé quand Jeanne apprendra que son « vrai » père biologique était un donateur anonyme. Depuis La Vie est un long fleuve tranquille, d'Étienne Chatiliez (1988), et Toto le héros, de Jaco Van Dormael (1991), nous savons à quelles tragi-comédies peuvent mener ces échanges, réels ou supposés. Ici, l'anecdote engendre une série de scénarios qui vont se développer, avec des intensités diverses selon le degré de folie ou de perversité de chacun. Est-ce seulement parce que Guillaume se révèle un adolescent renfermé et léthargique que Polonsky s'intéresse immédiatement à celle qui « aurait pu » être sa fille ? Si l'absence d'échange est aussi indubitable, pourquoi sa révélation trouble-t-elle autant Louise Pollet, si rationnelle ? Que se passe-t-il vraiment dans la tête de Jeanne ? Enfin et surtout, quel est le jeu de Marie-Claire, dite Mika, qui accueille Jeanne avec un excès d'attentions mêlé de soupçon ?

Très vite, c'est elle qui devient le personnage central, montrant une perversité criminelle dans l'élaboration d'un crime qui semble répéter point par point le meurtre de Lisbeth, commis plusieurs années auparavant. Le parallèle vient à l'esprit avec Harry, un ami qui vous veut du bien, de Dominik Moll, un autre film français dont l'ingéniosité et la qualité de l'interprétation ont fait un succès largement inattendu et justifié cette année. La rencontre d'une famille française moyenne avec Harry (Sergi Lopez), un individu jovial, oisif et fortuné y tourne doucement au drame sanglant et au cauchemar. Et une même amoralité tranquille lie Harry et Marie-Claire.

Mais à la différence de Harry, Marie-Claire, malgré son nom, reste un personnage opaque. « Personne ne m'a faite[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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