Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MÉROÉ (O. Rolin) Fiche de lecture

Après avoir étendu le champ de sa réflexion littéraire à l'espace planétaire dans L'Invention du monde (Seuil, 1993), et réduit l'échelle temporelle de ce même livre à une seule journée, Olivier Rolin a choisi comme point d'ancrage la nation de l'Est africain au bord de la mer Rouge, décrit par Hérodote comme « le pays des déserteurs ». Après Port-Soudan (Seuil, 1994), il y situe une part essentielle de l'action de Méroé (Seuil, 1998). Ce roman garde le principe de l'unité de temps : dans sa chambre de l'hôtel des Solitaires à Khartoum, le narrateur attend l'arrivée des policiers qui vont lui demander d'« établir les événements survenus à Méroé, à l'aube du second jour du ramadan », et il rassemble ses souvenirs.

Les sources des histoires humaines sont aussi fuyantes que celles du Nil – « rien qu'un grouillement de réseaux liquides, un nid de serpents d'eau... une figure innombrable »  – et ce récit trace de nombreux méandres, remonte même aux temps historiques du Soudan médiéval ou de sa colonisation par l'Angleterre, avant de conduire le lecteur vers le nœud de l'action, la mort d'Else, écrasée sur le champ de fouilles de Méroé par l'effondrement d'un mur recouvert d'une fresque représentant le Jugement dernier.

Il ne s'agit pas d'un accident, mais d'un meurtre à la culpabilité duquel aucun des personnages de l'histoire ne peut échapper. Ce roman revendique explicitement de multiples références littéraires, notamment celle d'Oscar Wilde – dont la phrase Each man kills the thingheloves revient comme un leitmotiv – ou celle de Joseph Conrad. Le narrateur est fasciné par le directeur des fouilles de Méroé, Vollender, sorte de Kurtz dont le « Cœur des ténèbres » serait l'Allemagne d'après la chute du Mur de Berlin, et qui poursuit à l'est du Continent noir de sombres et complexes obsessions archéologiques et personnelles. Le Soudan, ce « territoire philosophique », ce lieu de « solitudes foudroyées... dont personne ne peut imaginer l'inconcevable tristesse » et de la mauvaise conscience humanitaire, n'est pas sans rappeler le Patusan, pays oublié du monde où Conrad a fait vivre lord Jim. Lorsque, à Paris, le narrateur de Méroé rencontre Alfa, la femme dont l'abandon le conduira vers ce pays, il est en train de lire une page de Lord Jim faisant écho à une phrase de la Genèse. Après la faute d'Adam et Ève, Yahvé déclare : « Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal. »

C'est d'éthique dont il est en effet question ici, à travers un foisonnement de descriptions, d'évocations historiques, de mots maniés goulûment dans un désir de « pratiquer toutes les formes verbales, toutes les nuances de la pensée que codifie la syntaxe, toutes les figures de rhétorique, les strates historiques et sociologiques de la langue ». Dans Port-Soudan, le livre de la disparition de la femme aimée et de l'ami cher, Olivier Rolin affirmait son « ombrageuse indisponibilité qui empêchait notre âge mûr, en dépit de tout, des apparences, d'être complètement le reniement de notre jeunesse ». Quelques années plus tard, ayant accompli ce voyage au Soudan qui, lorsqu'il écrivait Port-Soudan restait mythique – un rêve venu de Rimbaud et de l'Aden Arabie de Paul Nizan –, Olivier Rolin réaffirme la nécessité de l'écriture comprise comme « moyeu d'un monde insaisissable », et d'une parole à la première personne, la seule capable de porter l'écrivain à la hauteur de son désir d'intervenir sur la marche du monde.

Les hommes décrits dans Méroé subissent le poids d'un passé qu'ils ne parviennent à conjurer qu'en en transférant une part sur[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification