MERVEILLEUX
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L'essence du merveilleux
L'échec des restaurations passées
Si le merveilleux a partie liée avec la croyance, il devient factice quand on cesse d'y croire, quand les conditions d'une rencontre privilégiée ne sont plus réunies ; la merveille abandonnée, falsifiée, réduite à un clinquant ou à un vernis, n'a plus que le pouvoir d'abuser le lecteur. Or cette déchéance est déjà largement acquise au xvie siècle. L'histoire du concept de merveilleux est en grande partie une histoire du retrait du merveilleux. La place du mythe est occupée par le « grand code », la Bible, en attendant d'être envahie par la science. Chez les classiques, la fidélité aux règles et à la raison tend asymptotiquement à rendre la surprise impossible. L'imaginaire n'est plus une voie féconde vers l'inimaginable, mais un obstacle importun sur le chemin de la pensée.
Le piteux destin de l' épopée n'est qu'une péripétie de ce retrait. On ne comprend plus le merveilleux, on se mêle de le censurer ou de le rationaliser. Parfois l'auteur surenchérit en y ajoutant les produits de sa propre imagination, quitte à se protéger par l'allégorie ou par tout autre procédé suggérant un sens second avec un clin d'œil au lecteur studieusement complice. Au-delà, le merveilleux n'est plus qu'un répertoire de conventions et la parodie entre en scène, apportant parfois un peu d'air frais : chez l'Arioste et même chez Cervantès, le second degré favorise l'émergence d'une sorte d'été indien de l'enchantement.
La mode des « contes de fées » apparaît comme une tentative pour réaffirmer les droits de l'imagination et de la naïveté. Mais Perrault, qui lança le genre, les présenta comme des contes de « nourrices » ou de « bonnes femmes » tout juste bons à être dits aux enfants (alors que le conte oral s'adresse aux adultes). Fait plus grave : son écriture « a ajouté aux superstitions du temps passé le sel de son ironie. Ce sel corrosif a contribué à les détruire comme croyances et à les conserver comme reliques » (M. Soriano).
La réhabilitation du merveilleux à l'époque romantique est sans doute l'étape suivante du même processus. La société bourgeoise étant prosaïque, on chercha la poésie dans le passé ou dans l'ailleurs ; on goûta les plaisirs de la couleur locale ; on crut possible d'être naïf volontairement. Plus sérieusement, on sentit que la civilisation industrielle a son fatum spécifique – le progrès – et l'on se mit en quête d'un merveilleux moderne. La Légende des siècles est sortie de là.
Le conte a poursuivi sa carrière, adapté à la civilisation de l'écrit, de plus en plus cantonné aux jeunes lecteurs. Le miracle de Lewis Carroll, c'est le désir de séduire. Les autres y mêlent le désir d'instruire ; souvent l'auteur traite le merveilleux comme un moyen et ne voit pas qu'il bêtifie. Plus généralement, il échoue parce qu'il voit du surnaturel là où le conte archaïque voit du naturel ; l'essor de l'ethnologie ne suffit pas à reconstituer l'idée de nature. « Comme un satellite sans planète, le conte tend à sortir de son orbite, à se laisser capter par d'autres pôles d'attraction » (Lévi-Strauss).
C'est précisément ce qui arrive quand il s'adresse aux adultes. L'étonnement devient rupture et débouche sur le non-sens, l'horreur de l'inauthentique et le vertige de l'étrangeté ; la merveille n'est plus tentante mais choquante, et l'on aboutit au fantastique. La nuit profonde, les espaces inhabitables du fantastique s'opposent à la vive lumière, aux espaces ludiques du merveilleux : « Le fantastique n'est pas autre chose que la dissolution de la fantaisie. Ce que le monde où nous[...]
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Écrit par
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