MES PROVINCIALES (J.-P. Civeyrac)
Longtemps peintre d’un réalisme intérieur d’une beauté magique, avec ses personnages fébriles, empêchés, solitaires, hésitant entre le noir du deuil et une promesse de lumière, Jean-Paul Civeyrac réalise avec Mes Provinciales (2018), son neuvième long-métrage en vingt ans, la synthèse douce et fragile de ses thèmes récurrents, tout en posant un regard pénétrant sur la jeunesse d’aujourd’hui. Art poétique mettant en images la conception du septième art du réalisateur dans sa fine approche des attentes, doutes et vibrations de la génération qui suit la sienne, le film invente une autofiction romanesque à l’esthétique aussi simple et légère qu’est dense la réflexion proposée.
L’auteur et ses personnages
Étienne (Andranic Manet) quitte Lyon et « monte » à Paris pour faire des études de cinéma. Il y rencontre Mathias (Corentin Fila) et Jean-Noël (Gonzague Van Bervesselès), avec lesquels il mettra à l’épreuve culture et amitié, mais aussi les petites amoureuses, pour reprendre le titre du film de Jean Eustache, qui feront son éducation sentimentale. Lucie (Diane Rouxel), Valentina (Jenna Thiam), Annabelle (Sophie Verbeeck), Barbara (Valentine Catzéflis) et Héloïse (Charlotte Van Bervesselès) l’amèneront à redéfinir ses idées sur l’amour et la fidélité. Assurant la transmission, Paul Rossi (Nicolas Bouchaud) est le professeur mentor et, repoussoir, William (Laurent Delbecque) représente l’étudiant qui a déjà fait le choix de pratiquer un cinéma commercial de qualité. Mais Civeyrac le dépeint sans méchanceté : comme dans La Règle du jeu de Jean Renoir, chacun a ses raisons.
Mes Provinciales associe l’aspect autobiographique au récit générationnel qui marque tout passage à l’âge adulte. Jean-Paul Civeyrac a en effet connu la situation d’Étienne quand lui aussi a gagné la capitale pour préparer le concours de la Femis. Par la suite, il y a enseigné la réalisation dix ans (2000-2010) avant de devenir professeur à l’université Paris-VIII. Le film évite toute mélancolie ou surplomb moralisateur, car il fait vivre ces trois époques à des étudiants pour lesquels, trente ans après, le cinéma demeure une question existentielle. Ceux-là baignent dans un environnement culturel identique : ils lisent et voient ce que lui-même aimait dans les années 1980. Chacun s’en nourrit, en quête de soi et d’absolu, d’autant que citer dans ses œuvres « des films que l’on aime devient une attitude politique à une époque où la culture est dénigrée » (J.-P. Civeyrac, entretien avec Marcos Uzal, Libération, 17 avril 2018).
Outre la référence à Pascal, Mes Provinciales pointe ainsi le déracinement géographique et culturel de ces étudiants : « Nous vivions dans une époque étrange. C’était un mélange d’exaltation, d’activité et de paresse, d’utopies brillantes, d’aspirations philosophiques ou religieuses, d’enthousiasme vague mêlés de certains instants de renaissance » explique la voix off de la bande-annonce du film, qui se termine ainsi : « Chaque jour je vis de foi, de courage et meurs chaque nuit aux feux de l’extase ». On pense à Jean Eustache, Philippe Garrel, Robert Bresson, Pier Paolo Pasolini, Jean Cocteau, exaspérant le réalisme par un emploi éblouissant du noir et blanc, à Éric Rohmer aussi pour la controverse de Ma Nuit chez Maud sur le pari pascalien.
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
Classification
Média