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MES PROVINCIALES (J.-P. Civeyrac)

« Le présent dans le passé »

Cette jeunesse intelligente, pleine de confiance et d’inquiétudes mêlées, s’empoigne lors de disputes passionnées, argumentant contre Baudelaire et en faveur de Rimbaud. Ils aiment Nerval, dont les œuvres inspirent le découpage en chapitres du film, tout en échappant aux clichés et en privilégiant l’inattendu. Le romantisme rend « l’existence plus intense, le monde plus grand », et permet « de voir le passé dans le présent, l’infini dans le fini » (J.-P. Civeyrac, ibid). Les Provinciales de Pascal préconisent le refus d’un accommodement avec la réalité et le maintien des actes en cohérence avec ses pensées. Mathias condamne William, non à cause de sa prédilection pour Mario Bava et Dario Argento, les maîtres du giallo, mais parce qu’il veut faire du cinéma pour plaire plutôt qu’au nom d’une nécessité intérieure. Si Étienne peut se mentir à lui-même, il parvient à se construire en confrontant ses idéaux aux autres. Pourtant, le sympathique et modeste Jean-Noël se sentira finalement trahi par l’admiration d’Étienne pour Mathias dont Civeyrac partage l’idéalisme cinéphilique. Dans Mes Provinciales, on étudie en effet Marlen Khoutsiev, Boris Barnet ou Sergueï Paradjanov, des choix esthétiques radicaux pour ces jeunes auxquels le cinéma apprend à vivre, dont il commande les sentiments et occupe toutes les pensées.

Mathias ajoute le mystère de ses disparitions inexplicables et son panache de séducteur à la violence de ses prises de position. Il veut atteindre par le cinéma ce que ressentent les personnages et pas seulement ce qu’ils font ou disent. Il y aurait selon lui des moments où le cinéaste « sent que ça existe » et que seule l’image serait à même de capter en traduisant la dignité de la lutte qui se joue pour « être au monde ». Leurs études à la faculté doivent donc rendre au réel ces apprentis artistes arrivés pleins d’illusions et de rêves. Pourtant tombe un jour l’incroyable nouvelle : Mathias s’est jeté dans le vide.

Deux ans plus tard, au dernier plan de l’épilogue, nous voyons Étienne chez lui, fasciné par la fenêtre ouverte qui ne donne pourtant que sur des toits enchevêtrés. Ce n’est pas un autre monde qui se découvre à lui, mais « la dure réalité à étreindre » (Rimbaud). Accompagné de l’adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler suggérant la quête (impossible ?) de la beauté absolue, le lent travelling avant qui s’amorce ne peut alors qu’évoquer pour lui et le spectateur la défenestration de Mathias. Civeyrac pratique un cinéma de moraliste et d’esthète, juste, pudique, délicat. Il touche avec grâce en évitant toute surcharge émotive à laquelle est préférée la brûlure invisible du feu intérieur. Mes Provinciales est un récit initiatique lyrique et bouleversant, d’une poésie amène mais oppressante.

— René PRÉDAL

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

Classification

Média

<em>Mes Provinciales</em>, J. P. Civeyrac - crédits : Moby Dick Films/ BBQ_DFY/ Aurimages

Mes Provinciales, J. P. Civeyrac