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MÉSOPOTAMIE La religion

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Cultes et liturgies

Les diverses activités auxquelles on se livrait, en Mésopotamie, à l'adresse des dieux étaient de deux ordres principaux. Les unes constituaient leur « service » proprement dit, celui pour lequel, précisément, ils avaient mis au point et produit les hommes : c'était le culte officiel. Cependant, comme les simples sujets non seulement servent leurs souverains, mais peuvent aussi attendre d'eux des faveurs et des grâces, il était loisible aux fidèles de chercher à obtenir des dieux un certain nombre d'avantages : ce qui se faisait par le culte sacramentel, ou théurgique, ou encore exorcistique.

Hormis rites et cérémonies commandés par cette double fonction liturgique, personne n'était tenu à rien d'autre vis-à-vis des dieux. Il n'y a jamais eu dans ce pays la moindre idée qu'on pût les honorer par la simple conformité à des règles éthiques. Si l'on manquait à ces dernières, comme à n'importe quelle autre obligation ou prohibition de la vie en société, ils pouvaient être amenés à châtier les fauteurs de ces « péchés », mais seulement parce que de tels manquements portaient atteinte à leur souveraineté et à leur majesté, et qu'il était dans leur rôle de faire respecter le bon ordre, sans que l'on eût jamais imaginé qu'il pût y avoir pour eux quelque avantage ou quelque gloire à ce que leurs dévots le respectassent spontanément, pour leur être agréable.

Le culte officiel

Comme la propre idée foncière que l'on se faisait des dieux en Mésopotamie, le culte officiel rendu à ceux-ci était tiré du modèle royal, calculé et transposé, magnificence en plus, des services que les rois et leur entourage attendaient de leurs sujets. Dans cette religion anthropomorphiste, tous ces services étaient d'ordre matériel : on devait représenter les dieux et les loger, les meubler et les fournir de biens d'usage et de luxe, les vêtir, les nourrir, les promener et assurer leur vie de famille, tout comme ces êtres de chair et d'os qu'étaient les rois.

On leur bâtissait donc, entourés de grands murs percés de portiques grandioses, des temples magnifiques, édifiés autour d'une pièce centrale qui jouait le rôle du saint des saints de la Bible et qui était entourée de salles sans nombre, de chapelles, de vestibules, de communs et de cours cérémonielles. Dans l'une de celles-ci s'élevait une tour à étages (ziqqurrat : « pointue », en akkadien), couronnée d'un petit sanctuaire et semblant relier le ciel et la terre. Tout un mobilier précieux garnissait ce somptueux habitacle, en particulier lits, tables et trônes.

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Le temple, c'était la « maison » (é, en sumérien ; bîtu, en akkadien) du dieu auquel il était dédié, sa résidence de souveraineté, situé volontiers en pleine ville, où sa gloire offusquait celle du palais royal. Le dieu en question l'habitait en personne, sous les apparences de sa précieuse statue de culte, volontiers faite d'une âme de bois rare plaquée de feuilles modelées d'or ou d'argent, et adornée de pierres fines. Elle occupait la place d'honneur dans le susdit saint des saints, entourée des images des divinités plus ou moins nombreuses qui composaient sa famille et sa cour : sa déesse parèdre, ses enfants, ses familiers et ses hauts fonctionnaires.

C'était le théâtre du cérémonial magnifique dont les rituels fixaient dans le détail tout le déroulement. Nous n'en avons que des fragments et beaucoup nous en échappe. Du moins savons-nous que ce culte quotidien était organisé autour de la table et que nul « sacrifice » n'y intervenait comme tel, si ce n'est celui des animaux choisis, dont la chair était nécessaire à la préparation des repas. Comme aux grands de ce monde, on en servait quatre par jour. Ces repas comportaient un menu varié et précieux, qui était accompagné des boissons les plus recherchées servies dans des coupes d'or, et qui, suivant la mode du pays et du temps, était rehaussé de fumigations odorantes, de musique et de chants sacrés.

On faisait aussi la toilette du dieu et de son entourage, les revêtant à chaque fois d'habits précieux, souvent renouvelés, et les chargeant de joyaux, dont chacun possédait une riche cassette. Il arrivait que l'on sortît le même dieu, accompagné d'une procession solennelle, pour le conduire d'un emplacement à un autre dans le temple, dans la ville et jusqu'à la campagne. Des sanctuaires de moindre importance, disséminés un peu partout, servaient de reposoirs. Quelquefois, il s'agissait d'un déplacement plus important, sur un char ou en bateau, d'un véritable pèlerinage, suivi par une foule d'officiants et de dévots, qui l'emmenaient, d'une ville et d'un temple à l'autre, rendre à d'autres dieux des visites de parenté ou de courtoisie.

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La liturgie semble avoir été à la fois mensuelle et annuelle ; elle comprenait des fêtes qui revenaient chaque mois, d'autres chaque année, à jour fixe. La plus célèbre inaugurait l'an neuf, au printemps : au mois de Nisan, qui répondait à notre fin mars-début avril. Nous en avons, au moins pour le rit de Babylone à basse époque, une partie du rituel : elle durait onze jours, bien remplis, et semblait vouloir souligner et réaliser avant tout une façon de refonte générale, pour l'entrée dans un temps nouveau.

Une autre fête, qui pourrait avoir été célébrée, de préférence, à peu près à la même époque, était le « mariage » du dieu : la « hiérogamie ». Quelques témoignages nous portent à croire qu'au moins dans certaines villes – car chacune, en souvenir des temps anciens, gardait sa propre liturgie –, à la fin du IIIe millénaire, elle était célébrée figurativement, mais avec un certain réalisme, par le roi couchant avec une prêtresse choisie ; plus tard, il y a lieu de croire que la cérémonie se faisait sans intermédiaire entre le dieu et son épouse, sous les espèces de leurs statues, apportées en grande pompe dans une salle particulière dite « nuptiale », et laissées côte à côte dans leur « lit conjugal » toute la nuit ; le lendemain se déroulaient des réjouissances populaires et un banquet. Nous connaissons ainsi, mais le plus souvent par leur nom seul ou par quelques chétifs détails, un certain nombre de telles fêtes, mensuelles, annuelles ou extraordinaires. Il nous reste aussi de quoi nous faire une idée de ce que l'on pourrait appeler « l'année liturgique » : en particulier, des sortes de directoires pieux, que nous appelons « hémérologies », ou « ménologies », où étaient consignés, pour chaque jour de chaque mois, les obligations religieuses pertinentes, les dieux à honorer particulièrement, les gestes pieux recommandés, les aliments ou démarches déconseillés ou carrément défendus...

Les temples

Les temples, qui portaient tous, en sumérien, un nom, souvent tiré de l'admiration qu'ils soulevaient – celui d'Enlil, à Nippur, s'appelait É.kur (« Temple-montagne ») ; celui de Marduk à Babylone, É.sag.il (« Temple au pinacle sublime ») ; et c'était aussi le cas des tours à étages : celle de l'Ésagil, par exemple, était dénommée É.temen.an.ki (« Temple-support de l'Univers »)... –, n'étaient que la forme la plus parfaite et la plus majestueuse des sanctuaires : tout le pays était semé d'édifices religieux mineurs – chapelles ou simples statues divines sur leur socle – dont certains jouaient parfois un rôle particulier, tel celui qui était consacré au dieu du fleuve et qui marquait le lieu choisi où le même dieu, par la procédure de l'ordalie, discriminait coupables et innocents.

Le temple, comme les autres chapelles, paraît avoir été ouvert au public, hormis peut-être telle ou telle partie considérée plus « sacrée » et accessible seulement aux membres du clergé. Celui-ci est peu connu, et nous ne savons guère distinguer, parmi les titres que nous connaissons du personnel ayant des relations plus particulières et professionnelles avec les dieux, les fonctions proprement religieuses et celles qui étaient plutôt administratives. Il est, du reste, possible qu'au moins en certains cas les deux aient coïncidé. À côté des prêtres figuraient des prêtresses, que nous ne voyons, d'ailleurs, pas mieux.

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Certaines étaient astreintes sinon au célibat, et encore moins à la « chasteté », au moins à l'obligation de ne point faire d'enfants. Quelques-unes vivaient ensemble et à part, dans une sorte de béguinage. Il y a quelque apparence que les catégories peut-être assez nombreuses, mais difficiles à définir pour nous, des prostituées et des prostitués étaient plus ou moins enrégimentées dans le personnel sacré, au moins pour certains dieux ou certaines cérémonies. Nous ignorons si ce clergé vivait à demeure dans les temples qu'il desservait, même s'il paraît imaginable que le caractère de lettrés des plus élevés d'entre eux devait favoriser une certaine vie commune, des préoccupations communes et peut-être un travail commun.

Le culte sacramentel

Le culte sacramentel proprement dit avait pour fin propre d'obtenir que les dieux écartent le mal venu frapper, ou menacer, ses victimes : maladies, épreuves et catastrophes, ennuis de toute sorte ou mauvais sort promis par quelque procédure divinatoire. Ces gens, avec une certaine philosophie, pensaient que la vie est assez supportable, sinon agréable, une fois supprimées les malplaisantes misères qui la parasitent. Ces maux, on le sait, étaient causés aux hommes par la cohorte obscure des « démons ». Il y a des chances que les procédés les plus archaïques pour chasser ces importuns aient été de l'ordre de la « magie » : par l'usage de manipulations ou de paroles jugées auto-efficaces. On aura intégré très tôt ce système à celui que présidaient les dieux souverains : ce faisant, on a préservé gestes et discours ritualisés, mais pour n'en faire plus que de simples cérémonies offrant aux dieux un cadre matériel d'intervention, grâce auquel, dûment priés et rendus favorables, ils pouvaient agir eux-mêmes et éloigner tout à la fois de leurs victimes, et leurs démoniaques commis, et le mal qu'ils leur avaient infligé. C'est pourquoi l'on doit parler non de « magie », au sens propre de ce mot, mais de théurgie et d'exorcisme.

À la différence du culte officiel, le culte sacramentel ne se pratiquait pas nécessairement au temple, mais, selon que le rituel l'exigeait, soit auprès du malade, soit à portée de l'eau courante, ou en pleine steppe, ou ailleurs. Toutefois, le lieu précis où on l'exécutait devait toujours être purifié et « sacralisé », selon les temps, par des procédures appropriées. Ce culte avait son officiant particulier, lui aussi membre du « clergé » à sa manière : l'exorciste (âšipu, en akkadien), lequel, après de longues études dont nous avons quelque idée, en connaissait tous les rituels, tous les rites, et en dirigeait l'application. Il s'agissait toujours de manipulations utilisant le feu, l'eau, d'autres matières et d'autres moyens censés chargés de vertus spécifiques, et accompagnées de prières et d'adresses aux dieux, le plus souvent formalisées et passe-partout. Quand on considère la masse impressionnante de ces procédures parvenues jusqu'à nous par centaines et ce que nous savons de leur rôle universel dans la vie quotidienne, on est tenté de croire que le culte sacramentel aura constitué la pratique religieuse la plus populaire, celle qui traduisait le mieux la religiosité au moins du plus grand nombre.

Paraliturgies et culte familial

On peut rattacher, de plus loin, à ce même culte finalisé par les fidèles un certain nombre de pratiques, notamment de divination « déductive » : si elles mettaient d'abord en jeu la « science » et la technique de leur spécialiste (bârû, en akkadien), elles ne se faisaient point sans des appels aux dieux, pour ne rien dire du sacrifice, ritualisé, des animaux dans les entrailles desquels les aruspices chercheraient à décoder l'avenir.

Reste à évoquer ce que l'on peut appeler la liturgie familiale, dont beaucoup d'aspects nous échappent. Nous ne savons pas grand-chose des rites funéraires, si ce n'est que le corps, avant l'ensevelissement, devait être lavé, habillé et exposé. La mise en terre se faisait, traditionnellement, volontiers dans le sous-sol de la maison de famille : une « aile » était réservée à cette sépulture, et peut-être y trouvait-on aussi la chapelle domestique, ornée des images des dieux protecteurs particuliers des membres de la famille. Outre les modestes offrandes occasionnelles et régulières que leurs descendants devaient faire aux trépassés, il existait un autre rite privé dont il se trouve que nous sommes mieux informés : une fois par mois, tout au moins, lorsque la lune, en disparaissant, ramenait la pensée vers la mort, chaque famille se rassemblait autour d'un repas cérémoniel réservé à ses membres, au cours duquel, ceux-ci, en partageant les mêmes vivres, non seulement en tiraient la même vie, mais affirmaient ainsi leur communion et solidarité familiales. On l'appelait, en akkadien, kispu, d'une « racine » kasâpu, qui signifie précisément quelque chose comme « rompre » le pain pour le « partager ». Et les morts, eux aussi, étaient censés prendre part, mystérieusement, au repas...

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À l'autre bout de l'existence, à la naissance, d'autres cérémonies analogues se pratiquaient sans doute en famille, non moins qu'à cet autre point fort de la vie qu'était le mariage – mais nous n'en savons quasi rien.

— Jean BOTTERO

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Écrit par

  • : directeur d'études (assyriologie) à l'École pratique des hautes études (IVe section), Sorbonne
  • : assyriologue, Directeur de recherche au C.N.R.S., professeur à l'École pratique des hautes études en sciences sociales

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