MÉTAPHORE
Le terme « métaphore » appartient, à l'origine, au vocabulaire technique de la rhétorique et désigne une « figure de signification » par laquelle un mot se trouve recevoir dans une phrase un sens différent de celui qu'il possède dans l'usage courant. On remarque que, dans ce vocabulaire riche en mots rares et connus des spécialistes (du type zeugme, anacoluthe, hypallage, protase et apodose dont se moque Molière), métaphore est l'un des seuls qui aient vu leur extension se développer dans des proportions considérables. Non seulement c'est un terme courant, mais encore on en est venu à l'utiliser pour caractériser le fonctionnement même du langage, autrement dit la façon dont nous percevons, imaginons et interprétons le monde dans lequel nous vivons. Et peut-être pourrons-nous, en retraçant cette étrange évolution, parcourir quelques-uns des chemins énigmatiques de notre relation au langage et au monde.
La tradition classique
« Métaphore » vient du grec metaphora, qui signifie « transport » – au sens matériel comme au sens abstrait. Le terme est utilisé par Aristote dans la Poétique (1457 b) pour décrire une opération de langage. « La métaphore, écrit-il, est le transport à une chose d'un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l'espèce, ou de l'espèce au genre, ou de l'espèce à l'espèce, ou d'après le rapport d' analogie. » Cette définition appelle d'emblée plusieurs remarques : si le « nom » ne présente pas de difficultés (nous sommes bien dans l'ordre du langage, on dirait aujourd'hui du « signifiant »), en revanche, la « chose » semble renvoyer tout à la fois à ce qui est signifié par le nom (notion ou idée de la « chose ») et à la « chose » même, telle qu'elle existe dans la réalité (en termes saussuriens, le référent) ; et cette assimilation va engendrer, nous le verrons plus tard, des questions difficiles à résoudre. On remarque également que les trois premiers types de métaphore décrits par Aristote constituent, dans de nombreux cas, à peine des expressions figurées tant elles appartiennent à l'usage ; un exemple type est le mot « tête », terme qui désigne une partie de l'organisme (humain ou animal) et qu'on transfère couramment pour l'appliquer à une autre « espèce » (tête de pont, tête de train, à la tête de ses troupes, etc.), si couramment que le caractère métaphorique de l'expression a complètement disparu. Si, dans la plupart des cas, il est possible de trouver un terme abstrait pour le substituer à « tête » (commencement, commandement, etc.), il peut arriver aussi que le terme dit métaphorique selon Aristote soit le seul disponible : ainsi les pieds de la table. Enfin, par « rapport d'analogie », Aristote entend un rapport très précis qui existe entre quatre termes en sorte que le premier soit lié au deuxième de la même façon que le troisième au quatrième : la coupe est à Dionysos ce que le bouclier est à Arès ; ou encore la vieillesse est à la vie dans le même rapport que le soir au jour. La métaphore consiste alors à dire : « le soir de la vie » ou (moins reçu) « la vieillesse du jour ». À l'auditeur ou au lecteur il revient de reconstituer le raisonnement qui lie les quatre termes entre eux. Mais il arrive que cette opération langagière soit explicite ; on lit sur certains cendriers vieillots les vers suivants : « L'absence est à l'amour ce qu'est au feu le vent / il éteint le petit et ranime le grand » (Sully Prudhomme).
On peut également entendre « analogie » dans le sens plus général de « ressemblance » (une sorte de similitude qui doit être à la fois visible, pour que la métaphore soit « claire », et inattendue, pour qu'elle soit « efficace »). Dans la [...]
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Écrit par
- Jean-Yves POUILLOUX : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII
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