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MÉTAPHORE

Sémantique et logique de la métaphore

Ces glissements témoignent bien qu'il fallait envisager une autre façon de considérer le terme, et en particulier qu'il était aberrant de réduire la métaphore à une substitution d'un mot à un autre. Il fallait donc reprendre la question du « sens propre » (dont Aristote dit qu'il est κ́υριος : maître...). C'est ce qu'a tenté I. A. Richards dans The Philosophy of Rhetorics (1966). D'un point de vue sémantique, un mot n'a aucun sens en lui-même ; le sens ne relève pas de la langue mais du discours, c'est-à-dire d'une situation concrète de parole dans laquelle le contexte exerce un rôle prédominant. Cela implique qu'un terme n'a pas de sens constant ni fixe (sens propre) ; au contraire, un mot renvoie toujours à des sens différents selon le contexte et il n'y a aucune raison d'affirmer la prééminence d'un sens sur les autres ; il n'y a aucun besoin d'analogie pour comprendre les divers sens du mot « tête », par exemple ; et il est impossible d'établir une hiérarchie entre les phrases : « je nettoie la cuisine » (la pièce où l'on prépare les repas) ; « je fais la cuisine » (la préparation même du repas) ; « drôle de cuisine » (quel mélange, que de manigances) ; « une cuisine fonctionnelle » (un ameublement fonctionnel), etc. Dans l'usage, il n'existe aucune ambiguïté et le contexte fait choisir immédiatement le sens convenable. Aussi la métaphore peut-elle se concevoir non comme un écart par rapport à un sens premier mais au contraire comme la forme même de tout discours : chaque expression comporte une force métaphorique potentielle (explicitée ou non), et cela peut donner lieu à malentendu, l'un des interlocuteurs entendant l'énoncé comme une figure et l'autre non, ce qui témoigne bien de la présence simultanée des sens possibles. Lorsque Voltaire écrit à Rousseau et l'invite à venir rétablir sa santé « dans l'air natal [...] boire avec moi du lait de nos vaches et brouter nos herbes », s'il parle métaphoriquement, il est cordial ; mais à l'évidence la formule est équivoque et il faudrait être un âne pour ne pas s'en apercevoir. On en trouverait facilement d'autres exemples ; l'un des plus éclairants peut-être serait à voir dans L'Expérience du proverbe de Jean Paulhan, qui, devant les proverbes malgaches, découvre (peu à peu) qu'un même énoncé change totalement de sens selon qu'on l'entend comme proverbe ou comme métaphore, d'où des malentendus et des embarras.

Mais une définition aussi large de la métaphore pose problème en ce qu'elle ne distingue pas un usage métaphorique du mot et la simple polysémie. Aussi faut-il préciser que l'un des sens (ou l'une des pensées) simultanément présents dans l'expression est évoqué à travers la présence de l'autre, et donc que la métaphore se caractérise par une certaine interaction des deux pensées l'une par rapport à l'autre. Cette interaction rend tout à fait inutile le recours à l'analogie entre les deux choses en soi, puisque c'est la relation qui seule importe.

Poursuivant dans cette direction, Max Black (Models and Metaphors) précise que, si l'énoncé tout entier est perçu comme métaphorique, cette qualité porte en fait sur un mot particulier, à la différence d'une allégorie, d'une énigme ou d'un proverbe, où tous les mots sont pris métaphoriquement (« les petits ruisseaux font les grandes rivières » ou « tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse »). Il distingue ainsi le cadre ou contexte littéral (frame) et le foyer ou mot métaphorique (focus). Le mot-foyer réagit sur le contexte à partir d'un ensemble de lieux communs[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII

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