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MÉTAPHORE

Pratique et poétique de la métaphore

Personne sans doute n'a mieux que Proust senti et fait sentir à quel point la métaphore est tout autre chose qu'une figure de rhétorique ; elle est un moyen d'approcher et de retenir la sensation du réel, c'est-à-dire l'événement fugitif au cours duquel nous avons eu un instant le sentiment d'être vraiment au cœur des choses. Pour rejoindre cet instant disparu, pour restituer sa formidable puissance jubilatoire, il nous faut recomposer un monde de langage qui abolisse les discriminations entre les termes qui renvoient au toucher, à l'odorat, au goût, à l'ouïe et à la vue. D'où ces phrases à cinq, voire six mots en apparence hétérogènes et disparates, mais qui, chacun renvoyant à un sens, s'équivalent les uns les autres comme autant de tentatives pour capturer un moment où notre sensibilité a été entièrement (globalement) affectée par un événement singulier. Le jeune narrateur de la Recherche entasse dans son esprit... « une pierre où jouait un reflet, un toit, un son de cloche, une odeur de feuilles, bien des images différentes sous lesquelles il y a longtemps qu'est morte la réalité pressentie que je n'ai pas eu assez de volonté pour arriver à découvrir » (Bibliothèque de la Pléiade, I, p. 179). Cette équivalence de termes distincts soudain appariés dans une expression unique qui tout à la fois rejoint la réalité et la sauve de la disparition, Proust la nomme métaphore. S'agissant d'un tableau d'Elstir, le narrateur écrit : « Une de ses métaphores les plus fréquentes dans les marines qu'il avait près de lui [...] était justement celle qui, comparant la terre à la mer, supprimait entre elles toute démarcation » (À l'ombre des jeunes filles en fleurs, ibid., I, p. 836). On aura reconnu des formules classiques ; l'essentiel tient cette fois non à la définition formelle de la métaphore mais à son usage. Nous ne pouvons accéder à la réalité que par elle ; et par elle seule nous pouvons résister à l'oubli. On se rappelle la page à la fois mystérieuse et magnifique dans Le Temps retrouvé où Proust définit la relation entre la réalité et l'expression : « Une heure n'est pas qu'une heure, c'est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. » Pour en découvrir la vérité et pour la sauver de la disparition, il faut trouver le « rapport unique » qui enchaînera à jamais dans une phrase, « dans les anneaux nécessaires d'un beau style », les éléments dispersés, les bribes éparses. Cette expression unique, Proust la nomme métaphore, et l'on voit qu'il étend le terme bien au-delà de la rhétorique puisqu'il en fait un moyen de perception privilégié.

Si l'on se rappelle les conceptions « comparatistes » dont nous avons parlé d'abord, une telle position pourra sembler paradoxale, voire provocatrice, puisque l'expression métaphorique y était présentée comme une sorte de détour, de formulation seconde, et donc plus éloignée de l'objet ou de la circonstance à évoquer que n'en était le discours direct ou simple ou normal. On pressent pourtant qu'il y a dans cette notion de « détour », autrement dit de suspension du temps, un élément important pour évaluer précisément ce qui se passe au moment de la production d'une métaphore.

De plusieurs manières, en effet, les métaphores sont soumises au temps. D'une façon externe d'abord : dans ce qu'on nomme métaphore, l'image ne tarde pas à perdre la fraîcheur, la nouveauté, et donc son pouvoir d'évocation (on emploie alors l'expression, d'ailleurs étrange, de « métaphore lexicalisée », pour attester qu'une formule originale peu à peu est « entrée dans le dictionnaire ») ; ainsi nombre de métaphores précieuses, de significations qu'on suppose originellement[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII

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