MÉTAPHYSIQUE
Renaissance et négation de la métaphysique
Des post-kantiens à Bergson
Dans la critique même qu'il présentait de la métaphysique, Kant mettait en lumière le pouvoir constructeur de la raison. C'est l'idée de ce pouvoir que reprend Hegel pour affirmer, selon sa formule célèbre, que tout ce qui est rationnel est réel, que tout ce qui est réel est rationnel. On retrouve ici l'équivalent de la métaphysique spinoziste : l'ordre des idées est l'ordre même des choses, et en suivant son propre mouvement, la raison construit l'univers. L'erreur de Spinoza, aux yeux de Hegel, a seulement été de se faire de la raison une conception mathématique. Or le raisonnement mathématique reste extérieur à son objet. Mais que l'on aperçoive que la marche de la raison est dialectique, et l'on verra que le devenir de l'histoire n'est autre que celui de l'esprit. Se recueillant en lui-même, et repensant l'histoire, l'esprit parviendra donc au savoir absolu. Car, selon Hegel, l'absolu n'apparaît qu'à la fin. Il est essentiellement résultat.
Bien que Hegel emploie peu volontiers le mot « métaphysique », que même il prend souvent en mauvaise part, la philosophie de Hegel, aboutissant au savoir absolu, et prétendant découvrir le sens dernier de tout ce qui est, est bien une métaphysique. On peut en dire autant de celle de Fichte, de celle de Schelling, de celle de Schopenhauer identifiant à la volonté cette chose en soi que Kant tenait pour inconnaissable. La première moitié du xixe siècle a été nommée l'époque des systèmes, et il est tout à fait remarquable de voir, après la critique kantienne de la métaphysique systématique, renaître avec cette vigueur les systèmes métaphysiques.
Mais on peut aussi s'opposer au kantisme d'un autre point de vue, et essayer de constituer une métaphysique échappant à sa critique, en découvrant pour elle cette expérience que Kant déclarait lui manquer. C'est ce que fera Bergson. Pour Bergson, l'être se découvre dans le devenir même de la conscience. Rejetons la division spatialisante de la technique, la division conceptuelle et symbolique de la science et du langage, et nous retrouverons, en cette sympathie par laquelle on se transporte « à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable », l'expérience métaphysique. Car la métaphysique est, selon Bergson, « la science qui prétend se passer de symboles ». Elle est coïncidence pure, et abolit toute distance entre le sujet et l'objet. En elle se découvre l'élan d'une durée créatrice, d'un sujet qui transcende le moi et rejoint l'action divine, jaillissement permanent et source d'imprévisible nouveauté.
Le positivisme et le marxisme
La critique kantienne est la dernière des critiques proprement philosophiques de la métaphysique. Au xixe siècle, la métaphysique ne sera plus véritablement critiquée, mais souvent contestée et niée. Ainsi, pour condamner la métaphysique, Marx aussi bien que Comte se placent en dehors d'elle et refusent de considérer ses problèmes.
Le marxisme rejette la métaphysique pour plusieurs raisons. Tantôt il voit dans ses constructions des idéologies, dont il prétend découvrir les racines en des intérêts de classe. Tantôt il juge que le souci métaphysique nous détourne des tâches plus urgentes de la transformation sociale et de la révolution. Tantôt enfin il estime que les problèmes métaphysiques ne pourront être correctement posés que dans une société où l'homme sera délivré de toute aliénation.
C'est au nom de la science que le positivisme de Comte rejette la métaphysique. Selon Comte, l'esprit humain passe, en chaque ordre de connaissance, par trois états. Le premier est l'état théologique : l'homme cherche[...]
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Écrit par
- Ferdinand ALQUIÉ : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)
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