MÉTHODE SCIENTIFIQUE
Il n'est pas rare de caractériser la méthode scientifique par le recours à l'expérience ou à l'expérimentation, et de situer celle-ci à titre de troisième moment d'un processus inauguré par l'observation et suivi de la formulation d'une hypothèse, qui serait ainsi vérifiée ou infirmée. Ce modèle, emprunté à Claude Bernard, est devenu très commun.
Claude Bernard évoqué et méconnu
Claude Bernard écrivait : « Le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale. 1o Il constate un fait ; 2o à propos de ce fait, une idée naît dans son esprit ; 3o en vue de cette idée, il raisonne, institue une expérience, en imagine et en réalise les conditions matérielles ; 4o de cette expérience résultent de nouveaux phénomènes qu'il faut observer, et ainsi de suite. » Outre que les résumés de cette présentation omettent souvent le quatrième moment de la méthode, qui conduit à l'envisager sous la forme d'un cycle indéfiniment reconduit, la date de publication et la place de cette formule au sein de l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale viennent troubler sa fausse clarté. Claude Bernard donne cet ouvrage en 1865, soit douze ans après sa thèse de doctorat sur la fonction glycogénique du foie, et près de vingt après le début de ses recherches sur la présence de sucre dans le foie. Autant dire que Bergson, rendant hommage à Claude Bernard, voyait juste en assurant que « nous nous trouvons devant un homme de génie qui a commencé par faire de grandes découvertes, et qui s'est demandé ensuite comment il fallait s'y prendre pour les faire ». S'il faut entendre par méthode l'exposé détaillé des étapes par lesquelles il convient de passer pour atteindre un résultat, et si le résultat visé est la production de connaissances scientifiques nouvelles, il faudrait être singulièrement naïf pour penser trouver dans la succession de ces trois termes – observation, hypothèse, expérience – le moyen de l'atteindre. Claude Bernard ne l'ignorait pas. Il entendait essentiellement montrer que la médecine ne pourrait réellement soigner les malades qu'en devenant scientifique, donc en empruntant la voie expérimentale, à l'instar des sciences physico-chimiques. Quant à l'observation, première étape de la méthode, elle porte certes sur les faits, mais pas n'importe lesquels : lorsqu'il relate ses propres travaux sur la nutrition commencés en 1843, il évoque celle « d'un fait nouveau bien constaté et en contradiction avec une théorie ». Enfin, la linéarité même de la méthode est relativisée dans les lignes qui suivent son énoncé : « Pour être plus clair, je me suis efforcé de séparer les diverses opérations du raisonnement expérimental. Mais quand tout cela se passe à la fois dans la tête d'un savant qui se livre à l'investigation dans une science aussi confuse que l'est encore la médecine, alors il y a un enchevêtrement tel, entre ce qui relève de l'observation et ce qui appartient à l'expérience, qu'il serait impossible et d'ailleurs inutile de vouloir analyser dans leur mélange inextricable chacun de ces termes. » Où l'on attendait une méthode universelle se présentent des « Considérations expérimentales spéciales aux êtres vivants », où l'on escomptait les faits apparaissent les problèmes, où l'on prévoyait une succession advient un « enchevêtrement ». Des analyses analogues, menées sur d'autres présentations figées de la démarche expérimentale, donneraient des résultats identiques : la « méthode expérimentale », réduite à la succession intangible d'opérations communes à toutes les sciences, se désintègre à l'examen. De cette désintégration sont issues trois familles de données : des généralités descriptives ; des considérations méthodologiques propres aux différentes sciences ; des[...]
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Écrit par
- Jean-Paul THOMAS : philosophe, professeur des Universités
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