- 1. Considérations historiques
- 2. Qu'est-ce que la méthode ?
- 3. Différentes méthodes pour différentes sciences ?
- 4. L'hypothèse et l'expérience mentale
- 5. L'hypothèse, l'induction et l'analogie
- 6. Des techniques d'expérimentation ?
- 7. Méthodes et philosophie
- 8. Méthode et pragmatisme
- 9. Bibliographie
MÉTHODE
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Des techniques d'expérimentation ?
Existe-t-il une méthode expérimentale ? Méthode implique a priori, expérience a posteriori. Le théoricien déduit des propriétés à partir de lois hypothétiques. L'expérimentateur, ou celui qui procède expérimentalement, essaie de découvrir la loi ou la régularité cachée dans les faits donnés par les expériences qu'il provoque. Malheureusement, on ne connaît aucun art infaillible de monter des expériences significatives, où la nature répond par oui ou par non, et livre des « faits à grand rendement » (l'expression est de Poincaré). Il faut que la question soit judicieusement posée, et cela renvoie au rôle des hypothèses : nous ne disposons pas de méthode pour en inventer. Ensuite, l'expérience peut manquer à décider parce que la technique est insuffisante ou parce que le matériel n'est pas approprié, etc. « L'expérience qui répond par oui ou par non est rare et précieuse. C'est elle qu'il faut s'efforcer à provoquer. L'expérience cruciale qui, schématiquement, paraît chose simple est l'opération la plus délicate [...]. L'adéquation exacte de la technique à l'idée expérimentale, telle est la condition décisive de la réussite [...]. L'hypothèse de travail fructueuse consiste non seulement à poser un problème, mais encore et surtout à concevoir les moyens propres à le résoudre, à découvrir la technique qui permettra l'expérience cruciale » (E. Wolff, in recueil éd. F. Le Lionnais). L'expérience est indispensable quand on a à décider sur des questions auxquelles on ne sait pas répondre a priori. Quelle est l'efficacité d'un vaccin ? Fumer est-il cause du cancer du poumon ? Il faut « aller voir », examiner des cas, et interpréter les résultats.
De grands scientifiques déplorent l'ampleur du déchet de l'expérimentation. Dans certaines disciplines, telle la biologie, une masse de publications consiste en des rapports sur des corrélations dépourvues d'intérêt, ou à produire des tableaux de faits sans même une hypothèse de travail. Ces résultats risquent de s'accumuler sans profit pour la science, soit que l'avenir s'engage dans d'autres voies, soit que le progrès de la précision les périme rapidement. René Thom a pu parler du « torrent de futilités qui sort des laboratoires » (cf. bibl.). L'hypertrophie de la recherche expérimentale est une conséquence naturelle de placer l'accent sur les relations et les lois, comme l'ont préconisé Comte, Renouvier, Duhem, et toute la tradition positiviste et kantienne. S'il est vrai qu'on ne connaît les substances que par leurs actions (nous disons aujourd'hui leurs interactions), il n'y a qu'à multiplier les actions ou interactions. Par cette voie, on finira bien par mettre la main sur une loi. Comme le dit ironiquement Bouasse, on pourrait jouer de la clarinette aux plantes et noter leurs réactions : « En essayant toute espèce de combinaisons de causes, il est possible qu'on amène un effet nouveau ; mais on risque aussi de perdre son temps. »
Il n'existe pas de méthode pour éviter les deux extrêmes des hypothèses vides et de l'expérimentation sans idées. En revanche, il existe des techniques locales liées à l'emploi d'appareils tels que microscopes, appareils à rayons X, accélérateurs linéaires, etc. Les opérations qu'on effectue dans les laboratoires sont trop particulières pour susciter la curiosité des non-professionnels. Que prouve au juste un résultat expérimental ? Comment l'interprète-t-on ? Confirme-t-il ou réfute-t-il l'hypothèse ? Là-dessus, les épistémologues ont, la plupart, des vues simplistes, ils croient que tout est une affaire de lecture de cadrans. Cet aspect d'action et d'intervention de la science a pris un très grand développement. La conviction régnante, que quelques-uns tiennent pour fâcheuse et erronée, est que les phénomènes d'ordre perceptible, ou directement accessibles à nos sens, ont tous révélé leurs secrets, et qu'il n'y a plus de découverte à y faire. Pourtant, il arrive qu'une observation banale (par exemple sur l'annulation de la pesanteur dans un référentiel en chute libre) reçoive, moyennant une interprétation théorique ingénieuse, un sens profond et inattendu.
La méthode expérimentale s'apprend au laboratoire. C. Bernard remarque : « Cela ne servira jamais à rien de parler méthode expérimentale et expérimentation au coin de son feu, les pieds sur les chenets ; il faut agir et alors on a une idée juste de la chose. » C'est une pratique plutôt qu'une théorie. H. Le Chatelier y fait écho : « Dès que l'on travaille au laboratoire, on est assailli d'une multitude de problèmes et la seule difficulté est de faire parmi eux un choix judicieux », écrit-il. Cela ne l'empêche pas de croire à l'existence de règles précises, « qui constituent ce qu'on appelle la méthode scientifique ».
La méthode expérimentale est surtout une méthode de preuve : il s'agit de contrôler des hypothèses au moyen d'expériences systématiques. Pour cela, il faut inventer des appareils et apprendre à les utiliser : ce sont les techniques évoquées plus haut. D'autre part, l'interprétation de l'expérience, surtout dans les sciences biologiques (médecine, etc.) requiert souvent l'emploi de moyens statistiques, appropriés aux cas où la nature ne répond pas franchement par oui ou par non. Ces moyens sont ce qui s'apparente le mieux à ce qu'on attendrait d'une méthodologie intellectuelle efficace (tests d'hypothèses, tests de signification, moindres carrés, corrélation, estimateurs du maximum de vraisemblance, etc.). Bizarre à dire : on a moins de méthode pour le certain que pour le probable.
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Écrit par
- Jean LARGEAULT : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil
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