MÉTRIQUE
Superstructures métriques
Dans la poésie littéraire traditionnelle, les vers ne sont pas les seules unités métriques : ils sont généralement regroupés, d'une manière systématique, en unités de niveau supérieur, essentiellement au moyen de la rime, parfois aussi au moyen des variations métriques ou de la répétition verbale. Ainsi dans ce passage de Horror, de Hugo :
La graphie impose d'emblée un regroupement régulier en groupes de six vers (sizains). À l'intérieur de chaque groupe, certaines lignes consonent deux à deux par leurs terminaisons, à partir au moins de leur dernière voyelle masculine (équivalence de rime). Si on représente deux vers rimant ensemble par la même lettre, chacun des groupes présente le même schéma d'équivalences en rime : AABCCB. Les deux groupes sont donc équivalents non par leurs sonorités terminales (les vers ne riment pas d'un groupe à l'autre), mais par leurs réseaux d'équivalences en sonorités terminales (schémas rimiques). De tels groupes métriques, en succession régulière, sont généralement appelés strophes.
À l'intérieur de chaque strophe, le schéma rimique dessine deux sous-groupes équivalents de trois vers (« tercets »), AAB et CCB, qu'on peut appeler les cellules composantes de la strophe. Ces deux cellules sont équivalentes non seulement par leurs derniers vers rimant en B, mais par leurs paires initiales de vers (« distiques »), puisque AA, dans la première cellule, est équivalent à CC dans la seconde, en schéma rimique (chacun de ces deux distiques, considéré indépendamment, est rimé en AA). Chaque tercet est donc une cellule composée de la succession d'un distique et d'un vers. Les vers courts (huit-syllabes) apparaissent comme des clausules, scandant par le changement de mètre la fin des cellules, dont le mètre de base est 6-6 (alexandrin).
Dans la poésie littéraire, la rime n'est donc pas un simple « écho sonore » visant, comme disent certains traités, au « plaisir » qui naîtrait de la « répétition ». Les schémas rimiques structurent totalement le poème en une succession de groupes emboîtés de vers, dont on peut mesurer la complexité : dans ces sizains classiques, le schéma AAB-CCB détermine quatre niveaux de structure métrique, puisque certains vers (premier niveau) sont regroupés en distiques (deuxième niveau), que chaque distique forme une cellule avec le vers suivant (troisième niveau), et qu'une paire de cellules forme une strophe (quatrième niveau). Il existe en fait un cinquième niveau d'« infrastructure » métrique pourrait-on dire, si on tient compte de ce que les alexandrins des distiques sont eux-mêmes composés d'hémistiches de 6 syllabes.
Les schémas rimiques de base les plus communs dans la poésie française classique sont, outre la suite AAB-CCB formant des sizains, la paire A-A qui forme les distiques dits à rimes plates en séries du type AABBCC..., et la forme dite croisée AB-AB ( quatrains). Ces trois formes ont en commun d'être composées de deux cellules (de un, deux ou trois vers) rimant entre elles par leur dernier vers : A rime avec A dans chaque distique A-A (cellules simples de un vers), AB rime avec AB̄ dans AB-AB (cellules composées de deux vers), AAB rime avec CCB dans AAB-CCB (cellules composées d'un distique et d'un vers). La forme dite embrassée AB-BA, souvent mélangée avec la forme AB-AB comme équivalente, en est une variante, comme la forme AAB-CBC de sizain est une variante de AAB-CCB, par l'ordre inverse des rimes à la fin de la deuxième cellule. La réunion de deux schémas de telles strophes simples définit parfois une strophe composée, comme le dizain ABAB-CCD-EED, résultant de la combinaison d'un quatrain AB-AB et d'un sizain AAB-CCB. Ces formes composées reposent le plus souvent sur la succession de deux éléments seulement, suivant un principe limitatif de composition binaire[...]
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Écrit par
- Benoît de CORNULIER : professeur de linguistique française à l'université de Nantes
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