MÉTRIQUE
Codage et transmission
Les structures de durée et de mélodie du slogan ou du chant ne sont généralement pas déductibles des paroles, puisqu'une même expression grammaticale peut le plus souvent se rythmer et se chanter d'un grand nombre de manières différentes. Elles se perçoivent ou se transmettent donc d'ordinaire soit par l'audition (culture orale), soit, dans l'écrit, par l'adjonction d'une notation codifiée (écriture musicale). Ces problèmes de communication tendent à creuser l'écart entre la parole versifiée (poésie), que tout individu sachant lire peut en principe consommer seul (lecture), et la parole chantée, qui se transmet souvent, pour une majorité de personnes ne connaissant pas l'écriture musicale, par l'audition d'autres personnes, voire d'« interprètes » capables de déchiffrer cette écriture.
Cependant, l'interprétation syllabique d'un énoncé français, quoique largement déterminée par sa forme phonologique, n'est souvent pas complètement déductible de sa forme écrite ; par exemple, la structure syllabique dépend, pour le mot « lion », du choix entre l'interprétation vocalique de i (« diérèse : deux syllabes), ou consonantique (« synérèse » : une syllabe) ; « samedi » fait trois syllabes si on y fait correspondre une voyelle à la lettre e, deux syllabes sinon (« élision »). La majorité de ces ambiguïtés sont tranchées par deux types de codification, peu à peu établies par l'usage, qui ont prévalu, non sans quelques flottements ou évolutions, jusque vers la fin du xixe siècle. D'une part, la forme phonique des mots tend à se figer par son usage même (langue des vers traditionnelle), et par là même à se signaler comme désuète, voire archaïque : ainsi tous les « lions » de la langue poétique classique sont des li-ons, alors que tous les « pieds » sont des [pje] (une syllabe). D'autre part, l'interprétation de la forme écrite est rigoureusement codifiée par la tradition sur certains points dont dépend la syllabation ou la rime (conventions graphiques) : par exemple, une graphie de consonne même muette est toujours considérée, en fin de mot, comme pertinente ; de ce fait, « espaces », censé se terminer par le son [z] (ou [s]) à cause du s final de sa forme écrite, ne rime pas avec « passe », et « espaces infinis », où l'e ne peut pas être « élidé » devant la consonne [z], compte forcément pour 6 syllabes et non 5 dans un vers. Pour un lecteur accoutumé à ces conventions, la valeur syllabique des vers classiques, et par là leur métrique, est évidente d'emblée.
Mais un grand nombre de lecteurs modernes, même cultivés, connaissent mal ces conventions, et perçoivent, en les lisant, les vers classiques comme des « vers libres » sans métrique rigoureuse. Peu, aujourd'hui, perçoivent, dans « Le lait tombe : adieu veau, vache, cochon, couvée », l'alexandrin 6-6 que ce fut pour La Fontaine ; peu reconnaissent les 12 syllabes qu'avait « Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur ! » pour Hugo. Ainsi les mêmes types de codification qui facilitaient autrefois la communication de la forme métrique tendent aujourd'hui à la rendre obscure, et ont contribué au recul des formes métriques de structure syllabique traditionnelles (ces formes survivent cependant par l'enseignement, la culture classique, et chez de nombreux amateurs), alors que les formes à métrique isochronique de culture orale (slogan, chant) n'ont pas connu une pareille déchéance.
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Écrit par
- Benoît de CORNULIER : professeur de linguistique française à l'université de Nantes
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