MEURTRE DANS UN JARDIN ANGLAIS, film de Peter Greenaway
Le jeu cruel des erreurs
Le récit développé dans le film est aussi énigmatique que complexe. Le thème général est celui du contrat et de l'exécution des douze dessins par l'artiste peintre commentant en voix off sa démarche. Les esquisses sont visualisées et l'on voit la main du dessinateur diriger son crayon sur un papier quadrillé. Mr. Neville ne se sépare pas d'un cadre rectangulaire qui lui permet de limiter la vue qu'il va reproduire. Ce cadre s'interpose souvent entre le spectateur et le paysage, comme cadre dans le cadre.
La richesse visuelle caractérise d'abord le film, dont tous les plans, souvent fixes, sont composés avec une rigueur toute géométrique. Peter Greenaway inscrit sa démarche dans la tradition picturale classique ; il cite explicitement Caravage et Georges de La Tour. Ces références concernent le cadrage, la profondeur de champ, mais aussi le choix des couleurs et plus encore les partis pris d'éclairage. Tous les premiers plans du début du film sont éclairés à la lueur de bougies, les personnages se détachant sur l'arrière-champ obscur. Inversement, les paysages sont d'une luminosité éclatante, soulignant la verdeur des prairies et les teintes chaudes du soleil.
Ces recherches plastiques qui, pour le spectateur, peuvent faire écho à celles de Stanley Kubrick dans Barry Lyndon (1975) ou d'Éric Rohmer dans La Marquise d'O (1976), vont de pair avec un dialogue extrêmement littéraire, fourmillant de références culturelles aux valeurs de l'aristocratie anglaise de la fin du xviie siècle. Les termes du contrat sont enregistrés par un homme de loi, les règles sociales sont à tous moments rappelées. Aux dialogues vient s'ajouter la voix d'un commentaire qui précise le programme pictural : « Pour le dessin numéro un, de sept heures à neuf heures du matin, tout l'arrière de la maison, des écuries à l'étendoir, sera dégagé. »
La reconstitution des mœurs, des comportements, des maquillages outranciers, des perruques extravagantes joue à la fois l'authenticité historique et le délire interprétatif. Les perruques sont plus vraies que nature, véritables compositions architecturales sur les corps et les silhouettes.
Le contrat est économique, mais il est aussi sexuel. Dans ce domaine également, le film est audacieux. Il représente les rapports de sexes entre le peintre et ses commanditaires, Mrs. Herbert et sa fille, avec une extrême crudité, brutalité même, sans le moindre soupçon de sentiment. C'est un échange matériel entre partenaires appartenant à deux classes qui peuvent se rencontrer mais non se confondre. Mr. Neville est le jouet des puissants et il sera leur victime naïve. Tout est construit dans le récit pour que sa mise à mort apparaisse comme programmée par le système narratif et plastique.
À cette richesse plastique et littéraire, il faut ajouter la virtuosité des interventions musicales répétées de Michael Nyman citant Purcell et Mozart. Celle-ci a joué un rôle déterminant dans le succès public du film.
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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