SCHAPIRO MEYER (1904-1996)
L'art et la structure
En 1973, recevant une distinction honorifique de l'Art Dealers Association of America, Meyer Schapiro résuma toute son œuvre en une phrase : « ... dans notre travail sur l'art, le but fut de rendre hommage à l'art ». Dès ses premiers travaux, il s'agissait, en effet, d'apprécier et de comprendre les œuvres d'art étudiées d'abord pour elles-mêmes. C'est dire qu'il avait toujours le souci d'évaluer au plus juste, suivant une échelle de valeurs esthétiques, les œuvres qu'il était conduit à comparer les unes avec les autres, sur la base des critères qualitatifs qui fondaient son jugement. En regardant les sculptures du grand tympan à Moissac et les œuvres de Courbet, Meyer Schapiro était sensible à la structure interne et, en quelque sorte, à ce qui faisait le prix du travail de l'artiste. Il commençait par délimiter les aires de résonance entre les formes et les figures, en partant de la composition pour parvenir jusqu'aux plus petits motifs possibles, jusqu'aux détails, par lesquels était manifestée la structure de l'ensemble.
Dans la composition des tympans comme dans les sculptures à Silos, à Souillac, il s'arrêtait plutôt à l'étude du rythme entre les figures, à la répartition des formes et à leur équilibre. Décrivant l'histoire de Théophile sculptée sur le mur ouest de l'église abbatiale de Souillac, il soulignait le manque de coordination entre des figures pourtant complémentaires, placées à droite et à gauche, sur la lunette centrale, au-dessous de l'arcature principale. Une figure en pied, disposée à la verticale, pouvait avoir été sculptée sur une pierre de format horizontal et inversement une autre figure, placée à l'horizontale, pouvait avoir été sculptée sur une pierre verticale. Il en résultait un équilibre précaire, que le sculpteur tenait à souligner, dans l'instabilité même du regard, sur le point de basculer d'un côté ou de l'autre. À ce niveau de l'observation, auquel s'ajoutaient tous les relevés minutieux des petites formes et des motifs les plus simples, apparaissait la structure qui donnait sens à ces agencements de pierres et que Meyer Schapiro situait dans la société féodale, ses violences, ses guerres, et dans la lente reconquête des hommes par l'Église, alors la seule force capable d'imposer un relatif équilibre entre les diverses parties en lutte. Il notait ainsi que cet équilibre, menacé par les vicissitudes rencontrées par Théophile, un laïc, était atteint, à Souillac, à l'emplacement occupé par la figure de Marie. Meyer Schapiro montrait que la forme menait à la structure. Mais l'observation de la forme, c'est-à-dire son repérage puis sa description, n'était rendue possible que par le jugement esthétique, dont il retraçait l'histoire, depuis saint Augustin jusqu'à Dante, en passant par saint Bernard et saint Thomas d'Aquin, sans négliger l'évolution la plus contemporaine de Meyer Schapiro lui-même (« On the Aesthetic Attitude in Romanesque Art », 1947). Le travail de recherche était donc ouvert sur le monde contemporain et sur le monde futur, à l'image du travail de l'artiste. En parallèle à son enseignement à l'université Columbia, Meyer Schapiro donna, de 1936 à 1952, des cours à la New School for Social Research à New York, où il compta au nombre de ses élèves certains des futurs artistes qui allaient s'illustrer dans l'expressionnisme abstrait (Abstract Expressionist Painting).
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Écrit par
- Daniel RUSSO : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, ancien membre de l'École française de Rome, professeur d'histoire de l'art médiéval à l'université de Bourgogne
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