MICHAEL COLLINS (N. Jordan)
Michael Collins fut le stratège incontesté de la guerre d'indépendance irlandaise qui vit s'affronter entre 1916 et 1921 les forces de la couronne britannique et quelques milliers de nationalistes sinn feiners résolus à s'émanciper de la férule anglaise. Inventeur de cette guerre de l'ombre, dont la décolonisation, à travers le monde, et, en Europe, la résistance à l'occupant nazi ont fourni maints exemples par la suite, négociateur d'un traité qui dressa contre lui une partie de ses compagnons d'armes, protagoniste d'une impitoyable guerre civile dont il fut la victime expiatoire, Michael Collins était un être ambigu, complexe et attachant, dont le septième art devait s'emparer tôt ou tard. Le sujet avait tenté Michael Cimino et Kevin Kostner. Par bonheur, c'est Neil Jordan, écrivain et réalisateur irlandais de premier plan (La Compagnie des loups, The Crying Game, Entretien avec un vampire), qui devait transposer à l'écran ce destin fracassé, porteur de tous les ingrédients de la tragédie antique. « Aucun de mes films ne m'a causé autant d'insomnies que Michael Collins, mais je crois bien que je n'en tournerai jamais de plus important », devait-il déclarer à l'issue du tournage. Jugement entériné par l'Irish Times, qui salue le Michael Collins de Neil Jordan comme « le film le plus important réalisé en Irlande et sur l'Irlande depuis la création du cinéma ». Présenté en sélection officielle à la cinquante-troisième Mostra de Venise, qui se déroula du 28 août au 7 septembre 1996, Michael Collins, ovationné par le public, se vit décerner le prestigieux lion d'or, grand prix du festival de Venise, le prix de la meilleure interprétation masculine allant à Liam Neeson, qui incarne de façon saisissante le jeune chef nationaliste dont la trajectoire reste inscrite en lettres de feu dans le firmament de l'histoire irlandaise. Metteur en scène et auteur du scénario, Neil Jordan a réalisé pour la Warner Bros le film définitif sur le sujet.
Le cinéma étant un art nécessairement elliptique, on fera grâce au réalisateur de quelques inexactitudes vénielles et de quelques raccourcis inévitables. Plus grave est le procès d'intention qu'on lui a fait de part et d'autre de la mer d'Irlande. La presse conservatrice anglaise se déchaîna. The Daily Telegraph réclama, dans un éditorial, l'interdiction pure et simple du film. Le Times intitula un de ses articles « Le Tueur glorifié ». Le Daily Express dénonça une manipulation. On accusa même Neil Jordan de justifier le combat de l'I.R.A. en Irlande du Nord. Devant l'anachronisme de telles attaques, il est bon de rappeler que Michael Collins fut considéré comme un traître par l'I.R.A. tout au long du xxe siècle et que sa mort tragique, le 22 août 1922, fut, à l'inverse, sincèrement déplorée par les hommes d'État anglais de l'époque. « Je suis indiciblement attristé par l'annonce de la mort de ce vaillant jeune Irlandais », déclarait David Lloyd George, le Premier ministre britannique. « Il est tombé, frappé en traître, alors qu'il s'efforçait de restaurer l'ordre et la liberté dans son pays, qui en a si désespérément besoin. Sa personnalité chaleureuse lui avait gagné l'amitié de ceux-là mêmes qui avaient eu à le combattre comme ennemi, et, pour nous tous qui l'avons côtoyé, la nouvelle de sa mort est cause personnelle d'affliction et de chagrin. » Winston Churchill écrira que l'Angleterre n'avait pas eu d'ennemi plus acharné ni d'ami plus loyal que Michael Collins, et que personne n'était allé aussi loin que lui pour sceller la réconciliation et « conjurer une malédiction séculaire ».
En Irlande, on a reproché à Neil Jordan d'avoir inutilement noirci le personnage[...]
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Écrit par
- Pierre JOANNON : historien, docteur en droit, docteur honoris causa de la National University of Ireland et de l'université d'Ulster (Royaume-Uni)
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