HANEKE MICHAEL (1942- )
Ce qui se montre et ce qui ce cache
Cela a conduit le cinéaste à développer sa réflexion sur le phénomène de la violence, révélateur des fractures du monde actuel. 71 Fragments d'une chronologie du hasard (1994) explore la disparition du lien humain à travers l'histoire d'un étudiant de dix-neuf ans qui tue plusieurs personnes sans mobile apparent. FunnyGames se veut davantage une mise en évidence de la violence érigée en principe de plaisir par un certain cinéma. Face aux deux sadiques qui déciment la famille du film, le spectateur prend conscience du danger qu'il y a à accepter la tuerie, ici insupportable, comme une convention de scénario. La Pianiste est une nouvelle approche des phénomènes d'oppression, nourrie par la sensibilité d'Elfriede Jelinek, auteur du roman et Prix Nobel de littérature en 2004. « Dressée » pour devenir l'interprète des grands compositeurs de la grande culture musicale, une femme, interprétée par Isabelle Huppert, croit trouver sa liberté en brisant des tabous sexuels qui la renvoient à un rapport de maître à esclave. Dans ce film, qui fut son plus grand succès public et qui obtint le grand prix du jury au festival de Cannes, Haneke met mieux que jamais à profit ses principes de mise en scène, fondés sur la composition et le temps du plan, souvent prolongé jusqu'à devenir séquence. Dans cette parabole féministe sur la guerre des sexes, le metteur en scène et ses comédiens s'exposent à tous les risques : excès, choix d'un registre indécidable, entre le risible et l'insupportable.
Sombre, mais non dénuée d'une ironie lucide (qui fut essentielle dans son adaptation de Jelinek), l'inspiration d'Haneke s'est tournée, dans Code inconnu (2000), vers la question, plus traditionnelle, des sentiments, de la solidarité, de l'entraide. Avec Caché (2005), il revient à l'observation d'une famille bourgeoise, ici parisienne, dont le confort matériel et moral est soudain menacé par une étrange forme de harcèlement : des cassettes vidéo anonymes arrivent au domicile de ces intellectuels tranquilles, montrant que leur vie est surveillée. Construit comme un thriller mental, le film distille avec cruauté le climat d'insécurité où sont plongés les personnages, qui ne s'en barricadent que davantage dans leur monde privilégié. La clé du mystère révélera que Haneke s'attaque au refoulé de la mémoire de la France (le sort de l'Algérie, précisément), comme il l'avait fait pour l'Autriche. Plus que jamais attaché à faire ressentir au spectateur le pouvoir manipulateur que peuvent avoir sur lui les images, il lui fait occuper la place du personnage principal, Georges, l'« honnête homme » qui soudain doit regarder le monde extérieur avec une inquiétude croissante. Haneke montre surtout la violence d'une société où certains vivent protégés, ou croient l'être, tandis que d'autres portent les cicatrices d'une oppression sociale, politique, ou raciale. Après Caché (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2005), Le Ruban blanc (palme d’or au festival de Cannes 2009) confirme la cohérence de l’œuvre d’Haneke, et sa place de brillant révélateur des peurs qui minent le monde occidental. En 2012, il remporte une deuxième fois la palme d'or du festival de Cannes pour Amour, avec Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant.
Michael Haneke a également mis en scène deux opéras de Mozart : Don Giovanni (Opéra-Garnier, Paris, 2006) et Cosi fan tutte (Teatro Real, Madrid, 2013).
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
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