REDGRAVE MICHAEL (1908-1985)
À l'instar des grands comédiens britanniques de sa génération ou de ceux qui furent quelque peu plus âgés que lui – Laurence Olivier, Ralph Richardson, John Gielgud –, Michael Redgrave se sera ingénié à exprimer sur les scènes londoniennes l'intériorité de personnages démesurés et à extirper toute la petitesse, l'angoisse et la faiblesse de la destinée humaine. Le théâtre qu'il a défendu (Shakespeare, O'Neill, Tolstoï) a magnifiquement servi son propos. Adepte de la méthode mise en place par Stanislavski, il aura exprimé bien avant l'Actors Studio l'état de torture « morale » enduré par des héros ou anti-héros déplacés dans leur univers.
Michael Redgrave est né à Bristol en 1908. Bien qu'ayant débuté dans sa petite enfance sur une scène de Sydney il est d'abord tenté par le métier d'enseignant. Après de solides études à Cambridge, il rejoint la troupe de l'Old Vic à Londres, où il apprend à se colleter avec les grands textes. Son physique semble le destiner à des rôles de « jeune premier » classique. Il opte cependant pour des rôles de composition, beaucoup plus proches de sa conception du héros théâtral. C'est Alfred Hitchcock qui le découvre à la fin des années 1930 et lui confie le premier rôle de The Lady Vanishes (Une femme disparaît, 1938). Il y incarne dans ce film un jeune musicien pratiquant l'understatement – ces répliques ironiques et ambigües, chères à Harold Pinter. Comédien de charme, Michael Redgrave poursuivit alors une double carrière. En effet, au contraire d'autres acteurs de formation classique, il ne juge pas le cinéma inférieur au théâtre. Il devient donc la vedette de nombreux films de prestige, souvent adaptés d'œuvres littéraires : Kipps d'après H. G. Wells (Carol Reed, 1941), Sous le regard des étoiles d'après A. J. Cronin (ibid.), ou encore Thunder Rock (J. Boulting, 1942). Mais c'est le cinéaste Alberto Cavalcanti, avec qui il avait déjà tourné un film documentaire, The Big Blockade (1940), qui devait donner son plus beau rôle à Michael Redgrave : celui d'un ventriloque possédé par son mannequin, dans Dead of Night (Au cœur de la nuit, 1945). Sa composition inquiétante mais toujours « dédramatisée » fut remarquée par les producteurs hollywoodiens.
La carrière de Michael Redgrave prend alors une dimension internationale : il est « nominé » à l'oscar pour le rôle d'Orin Manion dans Le deuil sied à Électre (D. Nichols, 1947) d'après Eugene O'Neill, qu'il interprète au côté de Rosalind Russell. Parmi les diverses compositions où il s'efforce toujours de dissimuler, derrière une façade quelque peu aristocratique, un trop-plein d'émotions, il faut retenir Mr. Arkadin d'Orson Welles (1955), Il importe d'être constant (1952) d'Anthony Asquith, Le Secret derrière la porte de Fritz Lang (1948) et, surtout, en 1958, Un Américain bien tranquille sous la direction de Joseph Mankiewicz.
Le cinéma anglais offrit encore quelques « grands » rôles à Michael Redgrave, comme dans Time without Pity (1956) de Joseph Losey, où l'acteur incarne de façon bouleversante un alcoolique mettant tout en œuvre pour sauver la vie de son fils condamné à mort. Devaient suivre en 1961 Les Innocents (d'après Le Tour d'écrou de Henry James), de Jack Clayton, et La Solitude du coureur de fond (1962), de Tony Richardson, dans lequel Redgrave joue le rôle d'un proviseur désespérément accroché à une éthique bourgeoise. Mais c'est son dernier film, Le Messager (1971) de Joseph Losey, qui constitue son véritable testament cinématographique. Michael Redgrave exprime là avec un grand pouvoir émotionnel le thème clé de l'œuvre du romancier L. P. Hartley dont le film est adapté : « L'enfance, c'est ce dont on ne se remet jamais.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
Classification