AGLIETTA MICHEL (1938- )
Penseur du capitalisme et de la monnaie, le Français Michel Aglietta est un chercheur, un pédagogue et un expert reconnu des économistes, des historiens et des anthropologues, mais aussi des politiciens et des syndicalistes de toute tendance.
Né dans une famille modeste d’immigrés italiens en 1938 à Chambéry, il intègre l’École polytechnique en 1959, puis entre à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) afin de participer à « l’ardente obligation » de la planification. Il contribue à élaborer une modélisation à partir des données de la comptabilité nationale permettant d’envisager aisément des variantes de politiques publiques ; celles-ci sont présentées lors des commissions du plan où sont réunis les représentants syndicaux, patronaux et de l’administration. Le plan constitue alors l’organe de gestation des compromis sociaux et économiques où sont notamment discutées et décidées les modalités de répartition des fruits de la croissance.
Après Mai-68, Aglietta décide de parfaire sa formation économique et sa compréhension du système capitaliste à Harvard aux États-Unis. De septembre 1970 à juin 1972, il suit les cours de Kenneth Arrow et de Paul Sweezy. Stimulé par ses lectures de Karl Marx, Fernand Braudel et François Perroux, il cherche à comprendre comment le capitalisme américain tente de surmonter le conflit entre capital et travail. Ce sera sa thèse d’État, « Régulation du mode de production capitaliste dans la longue période. Prenant exemple des États-Unis (1870-1970) », soutenue en 1974 sous la direction de Raymond Barre, et de laquelle il tirera en 1976 un livre retentissant : Régulation et crises du capitalisme. Ce livre, avec le séminaire INSEE qui a précédé sa parution, marque l’avènement de l’école de la régulation ; Michel Aglietta et Robert Boyer en sont les figures emblématiques et considèrent que le circuit économique ne doit pas être pensé comme un équilibre fondé sur des décisions individuelles indépendantes, mais comme un système en tension entre différentes formes institutionnelles. Un compromis sur les modalités d’accumulation, de reproduction des capacités productives et de répartition des profits, mis en place à un moment donné, peut être remis en cause lors d’une crise. Chaque compromis définit un régime de capitalisme distinct. En 1976, seuls deux régimes sont identifiés : le régime concurrentiel, qui prévaut de 1870 à 1913, et le régime fordiste de 1935 à 1970. Plus tard, Aglietta ajoutera un troisième régime : le capitalisme financiarisé, caractérisant le compromis qui se met en place à partir des années 1980 et légitime la distribution d’une part des fruits de la croissance aux actionnaires. À la fin des années 2000, il estime que l’avenir du capitalisme est en Chine, où se met en place un nouveau compromis institutionnel avec un encadrement politique fort autour d’objectifs de long terme.
Ce penseur du capitalisme cherche aussi à formuler des instruments politiques pour le transformer et réduire les inégalités qu’il crée. En 1995, il prône le rôle du contrôle syndical des fonds de retraite pour contrecarrer la recherche de la plus-value spéculative de court terme.
La seconde contribution théorique majeure de Aglietta naît de sa rencontre en 1975 avec un autre polytechnicien ayant choisi l’INSEE, André Orléan. Ils construisent une théorie monétaire originale s’appuyant sur trois socles :
– la théorie monétaire de Marx (la monnaie a pour fonction ontologique de créer la valeur) ;
– les travaux de l’économiste marxiste Suzanne de Brunhoff sur le rôle particulier de l’État dans l’acceptation et la circulation de la monnaie ;
– enfin, la pensée singulière de l’anthropologue René Girard, qui propose une théorie de la genèse des sociétés à partir de la notion de victime expiatoire.[...]
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Écrit par
- Yamina TADJEDDINE : professeure de sciences économiques, université de Lorraine
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